C’est un auteur rare, très rare, que le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) a décidé d’honorer, dimanche 2 février en clôture de sa 41e édition. Bill Watterson est le père d’une série universelle considérée comme un chef-d’œuvre du 9e art : Calvin et Hobbes. L’Américain âgé de 55 ans a été préféré au Japonais Katsuhiro Otomo (le créateur d’Akira) et au scénariste britannique Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta, From Hell…), les deux autres «finalistes» du vote organisé pendant le festival auprès de 1496 dessinateurs et/ou scénaristes professionnels. Il est le quatrième Américain à recevoir le Grand Prix d’Angoulême après Will Eisner (1975), Robert Crumb (1999) et Art Spiegelman (2011).

Faut-il encore présenter Calvin et Hobbes, sommet d’humour et de poésie mettant en scène un petit garçon rêveur et son tigre en peluche doué de vie dès que les deux protagonistes se retrouvent seuls ensemble? Lancé en 1985 dans une trentaine de journaux américains, le comic strip s’est achevé dix ans après sa création alors qu’il était publié dans plus de 2000 publications dans le monde. Watterson avait alors décidé de lui-même de mettre fin à sa série, craignant qu’elle ne tombe dans la routine. «C’est une marque de respect et de gratitude envers mes personnages de leur dire au revoir au sommet de leur art», écrivit-il dans un texte que l’on peut découvrir en préface de l’intégrale que vient de lui consacrer l’éditeur français Hors Collection.

Un refus de toute marchandisation

Fait unique dans l’histoire de la bande dessinée, le dessinateur avait également refusé toute marchandisation de son œuvre, ce qui lui aurait pourtant permis de devenir immensément riche. «Les cartes de vœux, tee-shirts et autres peluches allaient dénaturer l’esprit de Calvin et Hobbes. Je refusai d’avoir dépensé toute cette énergie pour me changer en simple vendeur de babioles», s’explique-t-il dans le même texte. Aspirant à mener la «fameuse vie tranquille» à laquelle il a toujours rêvée, Bill Watterson s’est, depuis, totalement retiré du monde de la bande dessinée et même de la vie publique. Il se consacre à la peinture chez lui, dans la banlieue de Cleveland (Ohio), et n’a donné que deux interviews à des médias américains depuis la fin de Calvin et Hobbes.

Tout ceci rend quasi impossible sa venue l’an prochain au Festival d’Angoulême; ce qui ne devrait pas manquer de faire grincer quelques dents dans le petit monde de la BD. Quand un Grand Prix est désigné, celui-ci dessine en effet l’affiche de l’édition suivante et préside le jury qui décerne les prix attribués aux meilleurs albums de l’année écoulée. La très probable absence de Watterson devrait, du coup, entraîner une réforme de l’institution.

«Le festival doit examiner une piste de réflexion pour que soit désigné en parallèle un président du jury qui soit encore actif ou qui connaisse la production actuelle de bandes dessinées ; un peu sur le modèle de ce qui se fait au Festival de Cannes. Le Grand Prix continuera, lui, d’être couronné pour l’ensemble de son œuvre et de faire l’objet d’une grande exposition à Angoulême», confie le délégué général du FIBD, Franck Bondoux. «On fera évidemment tout pour inviter le lauréat», indique ce dernier. Sans beaucoup d’espoir néanmoins pour 2015.

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