Si Maria Callas était une diva du sud, Elisabeth Schwarzkopf était celle du nord. La mythologie grecque contre la mythologie germanique, même. A l'une le répertoire italien, à l'autre l'allemand. Elles étaient toutes deux impressionnantes de caractère. Schwarzkopf était la Pamina blonde et Callas la Médée brune. Elles se détestaient, forcément. Normal, elles ont été les deux les plus adulées, les deux à pousser le plus loin, chacune dans sa direction, l'art vocal. Mais, dans le rôle de la peste, elles combattaient au sommet. «Elle beugle avec assez d'énergie pour être crédible», avait glissé l'élégante et diaphane Elisabeth pour décrire sa concurrente.
Schwarzkopf était une beauté ultra-disciplinée. La finesse ultime de la voix dans un physique parfait pour ce don-là. Elle y avait ajouté un perfectionnisme extrême, une sorte d'intégrisme de l'art vocal, et une définition indiscutable de l'esthétique allemande. Mais quelle voix! «Probablement la meilleure chanteuse en Europe», disait Karajan, sans qu'on sache pourquoi il lui fallait cette restriction continentale. Elle fut une immense interprète de Mozart, de Richard Strauss et des Lieder allemands. Elle fut «la» maréchale du Chevalier à la rose de Strauss, interprété 117 fois sur toutes les scènes du monde.
La reine de Salzbourg
La soprano, typiquement colorature à ses heures flamboyantes, a véritablement débuté à Vienne en 1944. Elle a été la reine incontestable de Salzbourg dès 1947, avant d'y donner des master classes plus que pointilleuses et de s'indigner année après année des choix de mise en scène et d'interprétation du festival: «horrible, infect, honteusement blasphématoire envers Mozart», pouvait-elle déclarer, entre autres formules sèches et sonnantes pourfendant la technique, l'opéra-business et des «dérives» contemporaines plus soucieuses de la nouveauté spectaculaire que de l'art lyrique traditionnel. Dès 1971, elle a d'ailleurs cessé toute participation à des opéras, préférant se consacrer à des récitals, plus adaptés à son intransigeance et à sa sophistication. Souvent pour des Lieder - Schubert en premier lieu - où son engagement interprétatif, son élégance et sa pureté saisissaient.
Elle avait débuté sa carrière en 1938 à Berlin, sous un ciel social des plus brumeux, qu'elle avait transpercé grâce à sa puissance de caractère, à sa ténacité, à sa précision musicale, sans s'encombrer d'un regard sur les événements de la rue. D'où un surnom salissant de «diva nazie» surgi bien plus tard, au milieu années 90, et des enquêtes biographiques qui n'ont cessé de mettre le doigt sur la plaie. Sa seule réponse? La musique. «Mon père m'a dit: tu n'as pas la tête à faire de la politique. Mais tu as cette voix, la voix du siècle, ne t'occupe de rien d'autre. Je l'ai écouté. Je n'ai rien d'autre à dire.»
Elisabeth Schwarzkopf est décédée hier à son domicile d'élection depuis plusieurs années à Schruns, dans la province autrichienne du Vorarlberg. Elle était née en 1915 à Jarotschin - actuelle Pologne - avant de se former au Conservatoire de Berlin. Elle avait vécu de nombreuses années en Suisse. De nationalité britannique par son mariage avec Walter Legge - découvreur de La Callas, Victoria de Los Angeles et Karajan -, elle a cessé de chanter lorsqu'il est mort en 1979. Comme si, sans lui, elle perdait toute caisse de résonance, toute envie d'être oiseau de feu. «Je n'ai fait que réfléchir sa lumière», disait-elle.