A la fin, il n’y tient plus. Il vous pique votre téléphone portable, télécharge une application où il s’agit, pour un héros en sueur, d’échapper à une meute de singes anthropophages. Andreas Varady écume ensuite votre discothèque numérique; et il extrait un morceau du rappeur 50 Cent dont il scande, syllabe après syllabe, la poésie bitumineuse. «J’ai 14 ans, oui. Mais attention, dans quelques jours j’en aurai 15.» Dans le palace montreusien où il sirote une limonade, son agent n’est pas loin. Alors il danse.
Quelques minutes plus tôt, il était un autre. Dans une salle de répétition, avec le prodigieux pianiste cubain Alfredo Rodriguez, il arpentait des standards de jazz, en des gestes si rapides que ses mains semblaient disparaître d’un manche disproportionné. La guitare, chez Andreas Varady, est un jeu d’enfant. Un luthier de Géorgie, Benedetto, lui a permis de dessiner lui-même son instrument de rêve. Elle s’appelle «Bambino Deluxe», elle porte sa signature d’enfant prodige. «Elle est rouge parce que j’aime le rouge. Un peu plus petite qu’une guitare d’adulte.»
Lorsqu’il a fini de mettre en place le concert du soir où le producteur Quincy Jones l’a invité, il tend l’objet précieux à sa mère, une jeune femme en robe fleurie. Son père dépose la guitare dans un boîtier au fond matelassé et il essuie délicatement avec un chiffon le bois écarlate. On dirait l’entourage d’un sportif d’élite qui scrute la moindre ligne mélodique, commente les arpèges, ajuste l’accordage. Sauf qu’il ne s’agit pas de performance, mais d’art. Et qu’Andreas Varady n’a rien du singe savant. Il est juste un musicien dont la précocité saisit.
Lorsque Claude Nobs, sur une vidéo en ligne, a découvert cet oiseau jazzeur, il a craqué. C’était un petit concert de rue. Andreas tourneboulait un thème des années 50, avec une légèreté, une maîtrise des codes et quelques fulgurances qui ne pouvaient qu’émouvoir un mélomane. Le Montreux Jazz Festival, dans sa 46e édition, a fait d’Andreas Varady son invité permanent, une attraction. Il a joué hier sur la scène du Miles Davis Hall. Il reviendra du 10 au 15 juillet, partout où sa guitare l’emportera, probablement chaque soir dans la nouvelle Funky Claude Lounge du festival.
Andreas Varady est né en Slovaquie, d’un père tzigane et bassiste. Il y avait du jazz – John Coltrane, Charlie Parker, une foule d’autres – à la maison. «J’ai commencé à jouer à l’âge de 4 ans. Un jour, j’ai entendu George Benson et j’ai ressenti la pulsation. Je me suis dit que je voulais faire cela.» Sa mère se souvient du jour, il n’avait que quelques mois, où il a reproduit trait pour trait la mélodie du vendeur de glaces. «J’ai su qu’il y avait de la musique en lui.» Il aurait pu jouer tzigane, il choisit le jazz parce qu’il aime quand les notes bleues étonnent ses propres doigts.
Andreas a 8 ans lorsque sa famille s’installe en Irlande. «C’est mon père qui m’a enseigné les bases. Mais je suis en fait un autodidacte. Longtemps, j’ai écouté et j’ai reproduit. Et puis, un jour, j’ai découvert mes propres trucs. Je n’ai jamais vraiment suivi de cours. Par contre, je commence à en donner.» On dirait une sorte d’enfant naturel de Wes Montgomery, dont les racines plongent dans un siècle qu’il n’a pas connu. Depuis qu’il vit en Allemagne, près de Bonn, où il a déménagé pour être plus proche de son agent, Andreas Varady a affiché un poster dans sa chambre. Celui du film Retour vers le futur , l’histoire d’un type d’aujourd’hui qui retourne dans les années 50.
«Vous savez, j’aime cette vieille musique. Mais je reste un adolescent de 2012. J’écoute Jay Z, Common, Q-Tip, le hip-hop de ma génération. Et puis, je garde du temps pour jouer. Par exemple hier, j’ai harcelé mes parents pour aller faire du skateboard dans un parc à Montreux. Vous aimez le hockey sur glace?» L’autre jour, il a presque rencontré Biréli Lagrène, le génie de la guitare manouche qui a lui-même débuté à 4 ans. «J’aimerais bien faire le bœuf avec lui. Ce serait cool. Je sais que les gens sont impressionnés parce que je suis jeune. Mais je continue de progresser. Il n’y a pas de raison pour que je devienne plus mauvais demain. Alors non, je n’ai pas peur de ne plus être l’enfant du jazz. Au contraire, je me réjouis de pouvoir enfin faire tout ce que je veux.»
Sur son disque, Andreas Varady a enregistré «In a Sentimental Mood» de Duke Ellington, une ballade déjà tellement traversée qu’elle paraît impraticable. Il décide de ne presque rien faire, s’abandonner au souffle, à l’espace rigoureux de l’ascension harmonique. Andreas est un grand guitariste parce qu’il sait précisément quand il faut en dire le moins. Cet été, il part aux Etats-Unis. Il profite des vacances pour répondre aux demandes d’engagement qui s’accumulent. «Non, ma carrière n’empiète pas sur mon parcours scolaire. S’il y a bien un truc qui ne me fatigue pas, c’est de donner des concerts. Il n’est jamais trop tôt dans la journée pour commencer à jouer.»
Il vanne son agent, un Allemand de bonne composition, avec des blagues sur sa mère. Il s’amuse à se donner la mort avec un petit glaive de plastique qui sert à piquer les citrons dans le bar du Palace. Andreas n’a qu’une impatience. Celle de voir son frère, 10 ans, «un batteur incroyable», atteindre l’âge de le rejoindre dans ses tournées. On n’a pas fini d’entendre parler des Varady.
Andreas Varady, «Answers», T3 Records. « www.andreasvarady.de»
«Un jour, j’ai entendu George Benson et j’ai ressenti la pulsation. Je me suis dit que je voulais faire cela»