Au fond, c’est bateau, mais ça tombe bien. Pour sa sixième édition, le festival Histoire et cité à Genève mise sur le voyage. Dès ce mardi et jusqu’à samedi, des historiens de premier plan, dont Patrick Boucheron, Sylvain Venayre, Michel Porret, mais aussi Cécile Guilbert, auteure d’une anthologie excitante sur les rapports entre drogue et littérature, se presseront sur vos écrans. Ils gloseront sur les grands raids de Magellan, Marco Polo ou Bougainville, comme sur les petits trips de nos prochaines vacances qu’on devra peut-être annuler.

Lire aussi:  A la (re)conquête du Nouveau Monde

En pleine pandémie et alors qu’on est pour la plupart condamné à faire le tour de son quartier, quand ce n’est pas de son appartement, comme Xavier de Maistre, auteur d’un fameux Voyage autour de ma chambre, le grand rendez-vous romand interroge nos pulsions voyageuses. A la tête de la manifestation, les historiens Sébastien Farré et Korine Amacher peuvent se féliciter de ce choix. Même en ligne, cette édition inédite devrait connaître le succès.

Le Temps: L’année passée, la peur était au menu d’une édition que vous avez dû annuler. Pourquoi avoir opté cette fois pour le voyage?

Korine Amacher: Il ne faut voir aucun lien de cause à effet avec la pandémie. Nous avions choisi ce thème en décembre 2019. Nous aurions pu évidemment nous attaquer à la peur. Mais il y a saturation, le climat est déjà assez anxiogène! Le voyage pose une multitude de questions brûlantes, écologiques, touristiques, anthropologiques, etc. Ce que nous vivons remet en question ses fondements. Bref, c’est un sujet qui peut tous nous impliquer.

Pour la première fois, Histoire et Cité va se décliner en version numérique. Qu’est-ce que ça change, au fond?

Tout pour les organisateurs. Nous n’avions aucune expérience de ce genre de diffusion. Jusqu’à octobre, nous avons espéré pouvoir proposer une édition normale, avant de comprendre que cela ne serait pas possible. Nous avons donc redimensionné l’offre, pour qu’elle soit digestible sur notre plateforme, même si elle reste très riche.

Comment se déclinera-t-elle sur votre site?

Tous les événements – conférences, tables rondes – seront retransmis en direct. Les internautes auront la possibilité de poser leurs questions via un tchat, comme dans les visioconférences auxquelles nous sommes habitués désormais. Toutes ces interventions filmées seront aussi accessibles en replay, de même que notre programmation cinématographique. Le paradoxe est que nous pourrions ainsi élargir l’audience de notre festival qui attire, en temps normal, un peu plus de 10 000 spectateurs.

Cette édition qui réunit les universités de Lausanne et de Genève est de nouveau très riche, presque touffue. La lisibilité du festival n’en souffre-t-elle pas?

Ça part en effet dans tous les sens, parce que les thématiques que nous choisissons sont volontairement très larges. L’objectif, c’est que tous les amateurs d’histoire y trouvent leur compte et leur plaisir. Nous ne voulons pas être académiques, mais sortir de notre tour d’ivoire. C’est notre principe cardinal depuis la première édition en 2015. Nous voulons rencontrer la population.

Que signifie une telle scène pour l’historienne que vous êtes, spécialisée dans l’histoire de la Russie?

Ce festival manifeste que l’historien a un rôle à jouer. Que des centaines de spectatrices et de spectateurs se pressent pour nous écouter est valorisant. Il m’arrive dans mon travail de chercheuse de m’interroger sur le sens de ce que je fais. Aller à la rencontre du public et partager, dans un langage accessible, une réflexion sophistiquée ou une connaissance particulière est une façon de répondre.

La demande d’éclairages est d’autant plus forte que nous vivons une période où les fake news foisonnent. Si on parvient à expliquer la complexité des choses et à montrer que l’histoire permet de mieux se saisir du présent, c’est réussi.


Festival Histoire et Cité, du 23 au 28 mars; Festival Histoire et Cité