Tout l’été, «Le Temps» remonte les chemins tortueux qui ont aidé certains des plus grands artistes à trouver leur voie.

LE LEGS. De The Pleasure Garden (1925) à Complot de famille (Family Plot, 1976), Alfred Hitchcock n’a pas seulement laissé 55 films qui ont influencé l’histoire du cinéma: habile publiciste, il a également inscrit son nom, son surnom (Hitch) et sa silhouette comme des marques reconnaissables et déclinées en série TV comme en recueils de nouvelles estampillées par «le maître du suspense».

LA FORMATION. Cadet de trois enfants, né en 1899 à Leytonstone, en Grande-Bretagne, Hitch est le petit-fils d’un policeman et le fils d’un épicier-poissonnier, catholiques aussi sévères l’un que l’autre. Couvé par sa mère et plutôt solitaire (son frère et sa s œ ur étant déjà scolarisés à sa naissance), le petit Alfred, sans doute en raison de sa santé fragile, n’est envoyé à l’école qu’en 1910.

Au collège Saint-Ignatius de Stamford Hill, il figure très vite au tableau d’honneur dans toutes les matières. Mais il reste souvent seul, rétif à toute forme de sport, allergique aux homélies quotidiennes sur le péché et, selon l’un de ses camarades, «sacripant notoire». Il ne s’illustre guère que par ses farces et par son intérêt pour les lectures obligatoires, Dickens surtout.

Sa scolarité s’interrompt en 1913. Dès lors, son adolescence s’égrène d’un petit boulot à l’autre. Mais ses parents, décidés à le faire participer aux revenus de la famille de manière substantielle, l’inscrivent au cours du soir de l’Université de Londres. Cours de navigation surtout, vu sa passion de toujours pour les cartes marines, ainsi que d’électricité, de mécanique, de dessin industriel. A la mort de son père, le 12 décembre 1914, il devient indispensable qu’Alfred, 15 ans, trouve un emploi régulier. Ainsi, dès le début de 1915, le jeune homme, qui échappe à l’armée en raison de son embonpoint, est engagé par la Henley, une fabrique de câbles électriques et de fils télégraphiques. Il y devient calibreur expert, chargé de vérifier le diamètre et le voltage de bobines de fils. Et de dessiner des circuits…

LES DÉBUTS. Hitchcock dessine si bien qu’il est remarqué par le chef de la publicité de la Henley qui lui confie des opérations publicitaires. L’apprenti a 16 ans à peine. Et c’est grâce à la guerre qu’il devient féru de cinéma: comme beaucoup de ses contemporains, il se réfugie dans les salles.

Il dévore bientôt de la pellicule, de la littérature aussi. Jusqu’au jour où, au début des années 1920, il apprend qu’une société de production américaine, la Famous-Player-Lasky, va installer un studio à Londres. Habile, il se renseigne sur le premier film qui y sera tourné, dessine des croquis ayant trait au projet et, l’ouverture de ce studio venue, se rend sur les lieux, un grand porte-documents en toile noire sous le bras: il est engagé sur-le-champ comme dessinateur de titres et d’intertitres.

Trois ou quatre ans après son arrivée, il ne dessine plus seulement les titres: il rédige des scénarios, conçoit des décors et des costumes, fait répéter les acteurs, squatte les plateaux, surtout ceux de célèbres réfugiés allemands comme Murnau. Dans son élan, il séduit même la monteuse attitrée du studio, la talentueuse Alma Reville, qui renonce bientôt à une carrière de réalisatrice prometteuse afin de devenir sa fiancée, puis son épouse, pour toujours. De quoi rendre jaloux les réalisateurs vedettes de la compagnie qui ont tout le temps ce gros gaillard farceur dans les pattes. Pour juguler son enthousiasme, le studio lui confie sa première réalisation, The Pleasure Garden, en 1925. Il a 25 ans.