Après l’affaire Weinstein, des millions de voix dans le monde ont porté le harcèlement sexuel et le sexisme dans le débat public. Et, comme bien souvent lorsqu’il s’agit d’émancipation des femmes, c’est aussi l’identité masculine qui est bousculée. Le Temps a voulu connaître l’écho du mouvement #MeToo auprès de jeunes hommes. Nous nous sommes rendus dans une classe d’apprentis de l’Ecole des métiers de Lausanne, où sont enseignées les formations techniques et artisanales. Un environnement majoritairement masculin: l’ETML compte seulement 7% d’élèves féminines.

Dans la classe qui nous a ouvert ses portes, elles sont deux sur une quinzaine. Les élèves, qui ont entre 19 et 25 ans, obtiendront leur maturité en 2018. Y a-t-il un féministe dans la salle? Aucune main ne se lève. «On accepte les féministes, mais pas les féminazis» lance Bruno, apprenti en informatique de 21 ans. On lui demande de préciser. «Une féministe, c’est une femme qui accepte que nous soyons différents et complémentaires», dit-il. Le jeune homme prend un exemple: «Une différence de salaire entre hommes et femmes de 20%, comme maintenant, c’est trop, dit-il. Mais je suis d’accord avec une petite différence de 3 à 4%. Après tout, une femme aura un enfant et c’est son employeur qui devra débourser.»

«La faute des patrons»

Le débat est lancé. Nathalie* lève la voix: «Et si je décide de ne pas avoir d’enfant? Je devrais être moins payée?» Les garçons ne sont pas d’accord non plus: «Les différences de salaire, c’est injustifié. Mais ça, ce n’est pas la faute des hommes, c’est celle des patrons. Ils devraient peut-être en faire plus pour les femmes, comme mettre des garderies», dit Loris. «Toutes les boîtes ne peuvent pas se le permettre!» embraye Bruno, avant d’ajouter: «Moi, j’aimerais bien un congé paternité.» «Mon père, lui, voulait être homme au foyer. C’est ma mère qui n’a pas voulu», reprend Loris en riant. 

Certains se sentent un peu malmenés par le discours ambiant. L’impression qu’on leur en veut, sans trop savoir pourquoi. «On n’y peut rien si quelques hommes se comportent mal!», s’exclame un automaticien de 23 ans. Hochements de tête dans la salle. Face à une poignée de gros lourds qui déshonorent la gent masculine par leur comportement, qu’ont-ils à se reprocher, eux, ceux de la majorité silencieuse? «C’est comme si on avait une faute à réparer. Mais il faut faire attention à ne pas nous mettre tous dans le même panier», lâche l’un d’entre eux, brandissant le Petit guide de survie à l’ETML, distribué dans les couloirs de l’école. 

«Être ferme dès le début»

Avant même l’irruption de l’affaire Weinstein, l’ETML a mis en place, sous l’impulsion d’une petite équipe très engagée, une série d'initiatives pour éveiller la conscience des élèves face au harcèlement et à l'égalité entre femmes et hommes. Les jeunes ont visionné ensemble L’ordre divin en septembre 2017, le film de l'Argovienne Petra Volpe, qui raconte la lutte de villageoises en faveur du droit de vote des femmes. L’enseignant d'histoire Grégoire Gonin, qui tient à aborder les questions liées au genre à chaque sujet du programme, a mis sur la table le thème de l'identité masculine en décortiquant le livre d'Olivia Gazalé Le mythe de la virilité: un piège pour les deux sexes.

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Le Petit guide de survie à l’ETML fait partie de cette démarche de sensibilisation. Il délivre des recommandations aux nouvelles élèves. Exemple: «Si on te fait des blagues qui te dérangent sur ton physique, tes capacités, ou que cela implique ton sexe, il faut savoir être ferme et poser dès le début tes limites.» Y figure aussi une liste de situations sexistes déjà rencontrées au sein de l’école: remarques dégradantes, commentaires sur les capacités intellectuelles, professionnelles, physiques ou sur la tenue des filles, ou encore «comportements tactiles non souhaités». Et recommandations aux garçons pour éviter de se comporter comme un «harceleur».

La peur d’une guerre des sexes

Bruno soupire: «Il n’y a pas que les femmes qui sont concernées par le harcèlement. Plein d’hommes l’ont vécu à l’école. Si cela continue ainsi, on risque de déclencher la guerre.» Le mot ne laisse pas indifférent. Nathalie*, assise au premier rang, se retourne alors vers ses camarades et questionne à la ronde: «Mais pourquoi vous vous sentez visés lorsqu’on parle de harcèlement?» La plupart admettent qu’il existe des cas problématiques, mais relativisent le sexisme de leur génération: «On a changé d’époque et de mentalité, ce n’est plus tellement un problème.» Pourtant, lorsqu’on s’intéresse aux expériences des uns et des autres, le tableau se révèle plus nuancé. Ils sont plusieurs à avoir été confrontés à des cas problématiques, sans trop savoir comment réagir.

«Un type qui propose un petit massage à une collègue sur sa place de travail, ça arrive tout le temps… C’est quand même bizarre», dit un apprenti laborantin de 24 ans. L'un de ses camarades s'engouffre dans la brèche, pour raconter une histoire qui s’est passée dans l'entreprise où il est engagé. Un employé a invité un jour une collègue chez lui au prétexte de travailler, pour mieux tenter d’obtenir une faveur sexuelle contre sa volonté. «Il y a eu un rapport au supérieur, mais le type n’a jamais eu d’ennui», dit-il. Que faire lorsqu’on est témoin de dérapages, si même ceux qui en ont le pouvoir ne réagissent pas?

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Un grand brun hâbleur assis au premier rang admettra avoir été lui-même saisi d’un doute sur son comportement: «Un soir, je buvais un verre avec une copine, on a pas mal rigolé et j’ai fait des blagues machistes. Le lendemain, je lui ai écrit pour m’excuser. Elle m’a répondu qu’elle avait bien compris que c’était du deuxième degré.» Alors, il se demande si on n’exagère pas un peu… Nathalie*, elle, souhaite simplement que les différences demeurent mais n’entravent pas les choix individuels: «Homme ou femme, ce serait bien qu’on arrive à s’en foutre complètement.»

*Prénom fictif