Les opéras en version de concert représentent souvent un pis-aller. En période d’économies, ou pour des raisons de déménagement, la solution ne représente pas ce qu’il y a de plus attractif dans le domaine lyrique. Orphelin des décors, de la mise en scène et du rapport physique entre les chanteurs, l’auditeur se voit souvent frustré d’une dimension spectaculaire, qui ajoute à la magie du chant pur.
Avec I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini, le public n’a pas ressenti ce genre de manque. Dimanche soir au Grand Théâtre, à l’occasion de la coproduction avec le Festspielhaus de Baden-Baden, la qualité musicale a en effet porté très haut les couleurs shakespeariennes et belcantistes.
Le seul problème réside dans la disposition de l’orchestre sur scène, les chanteurs alignés de front devant les musiciens. On mesure alors plus que jamais l’équilibre sonore d’une fosse, dont on imagine qu’elle aurait pu aussi être réadaptée dans ce cas de figure.
Malgré la direction alerte, sensible et ciselée de Karel Mark Chichon, les bois semblent lointains, les cuivres noyés et les premiers violons trop présents. Quant aux voix, il faut souvent se ramasser sous l’intensité de leur projection.
N’ayant pas à surpasser l’orchestre depuis le plateau, elles s’imposent sans recul dans toute leur puissance naturelle. L’oreille prend du temps à compenser ces désagréments. Il n’empêche que la Deutsche Radio Philharmonie Saarebrücken-Kaiserslautern développe des qualités enviables.
D’un côté, la discipline et la rigueur germaniques, qui permettent de mettre en valeur avec une netteté et un ensemble remarquables chaque double-croche, comme l’ampleur des grands modelés mélodiques.
De l’autre, une alacrité, une légèreté et une forme de clarté dans la sensualité, qui rendent grâce à l’italianité du langage bellinien. Le chœur du Grand Théâtre est lui aussi à louer, intense et compact sous la préparation d’Alan Woodbridge.
Reste la magnifique Giulietta d’Ekaterina Siurina. A la fois charnelle et puissante, délicate et incandescente, la soprano russe incarne son rôle de façon lumineuse. Engagée, vibrante, si touchante dans ses émois, elle se place avec grâce et autorité au sommet de la distribution.
La star Elina Garanca la suit de près, assouplissant au fil de l’œuvre la dureté de son Romeo héroïque et la plastique de sa voix impérieuse. Aux côtés de ce duo de reines, Yosep Kang campe un Tebaldo éclatant et tranchant dans une diction parfaite, Mathias Hausmann est un Capellio saisissant de sévérité et Nahuel Di Pierro un Lorenzo au beau timbre boisé, qui se voile un peu dans le deuxième acte. Un grand rendez-vous avec l’émotion.