Il eut pour la musique et pour ses contemporains les plus hautes ambitions, assoiffé d'une nouveauté après laquelle il n'eut de cesse de courir. Iannis Xenakis, qui s'est éteint à Paris à l'âge de 78 ans, fut l'une des âmes les plus révolutionnaires du monde musical qui pourtant, après guerre, ne manqua pas de candidats. Ses origines y contribuèrent sans doute: né en Roumanie, il entra dans la Résistance communiste en Grèce après l'invasion du pays par l'Axe, et reçut en plein visage un éclat d'obus qui le laissa pendant trois mois entre la vie et la mort. Il en garda un visage broyé et privé de l'œil gauche. Cette blessure, devait-il déclarer, l'a forcé à vivre comme au fond d'un puits, amputé d'une partie de ses perceptions: «J'ai été obligé de réfléchir plus que de sentir. Donc je suis arrivé à des notions beaucoup plus abstraites.»

Mathématicien, architecte, il devient à Paris, où il s'exile après la guerre, l'assistant de Le Corbusier. La musique l'attire déjà, au même titre que les autres disciplines: il s'agit pour Xenakis de construire à travers elle un monde nouveau, et d'y ouvrir la conscience des hommes. Ce messianisme lui donne la force d'inventer des systèmes sonores neufs, inspirés par les théories mathématiques, qui sont en rupture complète avec le courant sériel dominant.

Marginalisé, Xenakis s'accroche toutefois. Aux œuvres «stochastiques» des années 50 succèdent des tentatives de spatialisation sonore (les musiciens jouent parmi le public), puis les premiers essais de musique assistée par ordinateur. Peu à peu gagné par la notoriété, il touche au faîte de sa gloire au début des années 70. Son langage perd un peu de son aridité pour conquérir une forme de lyrisme cosmique qui impressionne jusqu'au grand public. Les commandes pleuvent, le compositeur y répond avec boulimie, développant des spectacles de musique audiovisuelle, avec lasers et lumières. Il crée ensuite un laboratoire, le CEMAMu, où il tente d'effectuer la jonction entre art, science et technologie. Ses dernières compositions en sortiront, jusqu'à l'ultime et prémonitoire Omega de 1997, nom de la dernière lettre de l'alphabet.

Que reste-t-il de Xenakis? Une œuvre énorme, d'une vitalité conquérante, frappée par l'énergie conjuguée du survivant et d'un fils de la Méditerranée. Au-delà d'une brûlante recherche («La tragédie, c'est de ne pas pouvoir toujours tout inventer», a-t-il déclaré), typique des avant-gardes, les grandes pièces de Xenakis soulèvent l'auditeur par une puissance tellurique, ou l'ensorcellent par une extraordinaire finesse de pensée. En témoigne une œuvre comme Nuits pour douze voix solistes (1967), dédiée à des prisonniers politiques. Ce lecteur de Platon, cette figure tragique et possédée par un sens impérieux de son propre destin était un combattant. On ne le joue plus guère aujourd'hui, comme pratiquement tout ce qui s'est composé entre 1950 et 1975. Il n'est pourtant pas exclu que le goût revienne de ces musiques engagées, difficiles, hermétiques, et que Xenakis retrouve alors la place éminente qui fut la sienne.