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Immendorf peint la gangrène du corps physique et social

Des travaux anciens et récents de l'artiste allemand emblématique sont exposés à Genève.

C'est à partir du milieu des années 1970 que l'artiste allemand Jörg Immendorf se fait connaître. Par une peinture figurative aux couleurs fortes, sombres, comportant des scènes comme saisies dans le pêle-mêle d'un cabaret glauque. Par la suite, il va balancer entre ce style qui flirte avec un réalisme socialiste – qu'on lui reproche – et une écriture plus déliée, plus volontairement négligée, expéditive. Mais comportant toujours le même énervement pour dire que l'homme est un loup pour l'homme, pour dénoncer l'exploitation du monde ouvrier par le capital, l'asservissement de la femme aux désirs de l'homme.

Maladie dégénérative

Atteint, depuis 1999, d'une terrible maladie dégénérative et paralysante (syndrome de Lou Gehrig), il ne peut plus faire usage de sa main gauche. Ce qui le contraint à peindre avec sa main droite et l'a amené à simplifier ses formes. Immendorf vient d'ailleurs de créer une fondation de recherche sur ce syndrome.

La quinzaine de peintures présentées par la galerie genevoise Art & Public recouvre ces trois manières. La plus ancienne toile, Rüssische Taube (Pigeon russe), peinture acrylique de 1978, est dans la veine de sa célèbre série Café Deutschland qui s'épanche, dans une ambiance surchargée de symboles, sur la situation de l'Allemagne divisée. Partagée aussi dans ses tensions sociales. Ancien élève de Joseph Beuys, Immendorf milite dans les rangs du parti des Verts et de l'extrême gauche, partage les visions du dramaturge Bertolt Brecht, se lie avec le peintre A.R. Penck, installé à Dresde. Immendorf est lui-même né en 1945 à Bleukede, un bled au sud-est de Hambourg touchant la frontière avec l'Allemagne de l'Est.

Théâtre de l'absurde

Des peintures plus récentes (années 1990-1991) témoignent de ces débats amers entre amis, qui s'effilochent dans des fumerolles bleutées. L'artiste n'est pas dupe. Sa véhémence se fait alors plus gesticulante, plus surréaliste aussi. Comme si la réunification l'avait coupé du réel, l'avait déraciné de son terreau. Son œuvre subit alors une certaine éclipse. Mais ce qu'il brocarde autrement, de manière peut-être moins puissante, est toujours ce théâtre de l'humain où se donnent en spectacle l'absurde et la férocité. Son style, désormais plus massif, avec ses formes empâtées presque abstraites qui donnent à la fois l'impression de s'amalgamer et de s'affronter, laisse entendre que les combats sont peut-être plus sourds et plus profonds qu'imaginés, et gangrènent le corps social comme ils paralysent le corps physique.

Jörg Immendorf. Art & Public (rue des Bains 37, Genève, tél. 022/781 46 66, http://www.artpublic.ch). Ma-ve 14 h 30-18 h 30, sa 12-17 h. Jusqu'au 4 décembre.