C’était une de ses premières scènes. Il avait enfoncé un chapeau sur ses cheveux en bataille et s’était à moitié dévêtu. Dans l’air vif d’un été à 2000 mètres, il chantait les premières chansons de son cru. Celles qu’il avait mitonnées tout seul avec sa guitare dans la lumière tamisée de son une pièce et demi avec cuisine. Il avait reçu tard le virus de la musique et comme s’il fallait rattraper tout ce temps sans notes, sans paroles, sans refrains, il grattait nuit et jour les cordes de son instrument. Des amis l’avaient poussé sur scène et il s’y était senti à son aise. C’était il y a dix ans.

Aujourd’hui, celui que l’on surnomme Jacko à la scène comme à la ville sort avec son groupe «les Washmachine», son premier album. Chansons françaises tendance rock dont les racines valaisannes créent des rameaux en Suisse romande et commencent à percer les frontières.

On le retrouve un jour de pluie à Martigny dans un salon de thé. Le rockeur avait une envie de petit pain au chocolat.

Jusqu’à il y a peu, il voguait sur un laisser-aller instinctif, laissant volontairement sa musique vivre au gré des concerts, mais une maison de disques l’a finalement convaincu de faire un album. «Enregistrer mes chansons, c’était comme les tuer. Je voulais leur laisser l’opportunité d’évoluer avec l’émotion du moment. Il fallait qu’elles puissent encore se développer en version tango, rock ou salsa. Avec un album, j’avais l’impression de les figer.» Au fond c’était le moment. Après quelques EP de quatre titres sortis avec ses anciens groupes et de multiples concerts, il avait trié des musiciens sur le volet et chacun s’était mis au diapason pour créer une musique carrée rythmée au métronome et francophone. «La musique en Valais, ce sont des gars qui chantent en anglais avec l’accent de Fully. Moi je trouve ridicule de chanter des choses qui n’ont aucun sens» explique-t-il.

Le Valais, c’est son terreau, mais il a fallu qu’il en sorte pour s’épanouir. Alors très vite, il a pris sa guitare et il a joué ailleurs: à Fribourg, à Bulle, en France. Au Brésil et au Cap Vert aussi, pendant un voyage en bateau. Un bol d’air pour lui: «Il y a une grande scène musicale en Valais, mais le public n’est pas toujours réceptif.» Il se souvient de ce type, un soir, qui lui a crié alors qu’il chantait «Tu ne veux pas en jouer une qu’on connaît plutôt qu’une qui nous fiche le cafard?». Cette fois-ci, il était parti, sa guitare sous le bras. «Moi j’aime montrer ma musique dans des coins où les gens ne sont pas forcément menés à l’entendre. Mais il y a des jours où les barrières sont plus difficilement franchissables.»

L’an passé il s’est attelé à faire un «Café des Alpes tour». Jouer à l’improviste dans tous les troquets valaisans que sa route croisait, se laisser porter par l’ambiance. Pour lui c’est aussi ça le rock’n’roll. «Malgré mon grand attachement au canton, je ne veux pas être catalogué comme valaisan. Quand on est valaisan, on n’est rien d’autre. C’est très dur de ne pas être affublé de cette étiquette. Lorsqu’on dit de ma musique qu’elle est suisse, ça me remplit de légèreté!»

C’est qu’il n’est pas tout à fait valaisan, Jacko. Il est né à Monthey, en 1983 dans une famille qui concevait le rock comme une notion lointaine. «Mon père écoutait de la musique folklorique du matin au soir et ma mère était fan de Sheila. Le seul musicien de la famille c’était mon oncle, mais il faisait de la fanfare.»

À cette époque on l’appelait Pascal. Ce sont ses amis qui l’ont surnommé Jacko. Comme il a vite fallu trouver un nom de scène, il l’a lui-même adopté. Sous les projecteurs, il incarne alors Jacko, son personnage, un homme exubérant, déguisé qui incite à l’ivresse, à la fête et à la liberté. Mais aux Marécottes dans sa maison qu’il retape avec son épouse, il s’est mis à l’écart de la foule. Il aime passer son temps à caresser ses chats et à pêcher à la mouche. «Pour moi c’est important de faire la distinction entre ma vie privée et la musique. C’est sans doute pour cela que je me déguise, pour éviter de prendre le melon.»

Sa musique s’adresse à tous. Des chansons aux textes simples qui lui sont apparues tout d’un coup. «Je suis un opportuniste de l’écriture. Quand ça vient, ça dure un quart d’heure. Je ne suis ni écrivain, ni philosophe, je suis le petit Pascal qui regarde le monde et qui compose avec sa guitare. D’ailleurs, tous mes textes sont dans ma tête. Je ne les avais jamais écrits avant l’enregistrement de l’album.» Il chante comme il s’exprime, avec ce franc-parler qui le caractérise. Une tendresse brute qui a su charmer Thierry Romanens avec lequel il partage un duo sur son album, résultat d’une rencontre qui lui a chauffé le cœur.

Quitte à enregistrer un album, il fallait que son parcours y soit gravé. Il a choisi un studio aux forces motrices à Genève, un label et une photographe valaisans ainsi que le thème du travestissement comme illustration. «Ça choque certaines personnes par ici. Moi j’adore ça.» Jamais il n’a perdu de vue l’autodérision qui lui est chère. «On a quand même sorti un CD. Aujourd’hui, c’est un support obsolète, mais pas pour notre public.» Par goût de l’ironie, il l’appelle «Emballage moderne». C’est aussi le nom de l’usine désaffectée dans laquelle le groupe répète à Vernayaz juste avant le verrou de Saint-Maurice. Jacko explique: «À l’époque, ils confectionnaient des petits paquets qui leur paraissaient être le summum de la modernité. Maintenant l’usine est vide. Ça me pousse à relativiser.»

Jacko a fini son petit pain au chocolat et il rit. Il rit comme il y a 10 ans dans ce festival au pied d’un barrage dans une vallée impasse. À pleins poumons, la tête en arrière, le cœur vers le ciel.