Chaque semaine de l'été, «Le Temps» s'arrête sur ces «nouveaux» usages du français qui nous étonnent, voire nous horripilent.

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Regardez-la! Elle est juste en face de vous, à voleter, de-ci de-là, se demandant où et comment elle va atterrir et sous quelle forme, la pensée de votre interlocuteur, en train de s’élaborer et mûrir en direct, devant vous, pour vous, qui méritez bien qu’on prenne tout ce temps. Je prends mes précautions, je vous ménage, je cherche la bonne formulation. Et voici qu’enfin, cette pensée, cet objet de réflexion longuement soupesé s’affermit et se redresse devant vous: «J’ai envie de dire, la pénurie de masques a fortement influencé la politique de l’OFSP en matière de lutte contre le Covid-19…» Ça y est, c’est dit.

L’expression «J’ai envie de dire», souvent enchaînée sans conjonction de subordination comme dans cet exemple, est née dans les années 2010 et elle a très vite gagné les politiques, les artistes, les journalistes. Tout d’un coup, tout le monde avait envie de dire. Comme si auparavant tout le monde disait sans avoir envie de le dire. Vous arrive-t-il de dire des choses sans avoir envie de les dire? Peut-être quand vous avez trop fait la fête, mais dans les pays aux mœurs démocratiques, c’est probablement la seule exception. Quand nous disons, c’est que nous avons envie de dire. Ce n’est donc pas l’envie qui est en jeu dans le «J’ai envie de dire».

De l'idéal à la vraie vie

Ce n’est pas non plus une précaution oratoire très efficace, ne permettant de gagner que quelques secondes dans une conversation. Certes, elle peut donner un air modeste à son locuteur, avec cet enrobage de respect. Mais on pourrait tout aussi bien en déduire l’inverse. Car «J’ai envie de dire», c’est le «Je» qui s’impose deux fois, dans ce qu’il dit et en soulignant qu’il le dit. Bingo! L’attention se partage désormais entre le locuteur et son propos, tandis qu’une conversation devrait probablement s’en tenir à son propos.

Cela, dans un monde idéal. Car dans la vraie vie, le langage est évidemment autant affaire de messagers que de messages. «J’ai envie de dire» montre finalement la langue à l’os: le désir du «Je», transmis à l’autre.


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