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Jean Dubuffet, du négoce en vin à l’art brut

Il arrive qu’on hésite entre le costume bien ajusté promené dans une grosse berline et la casquette de prolétaire

La légende de Jean Dubuffet (1901-1985) veut qu’il ait été marchand de vin avant de devenir peintre et inventeur (au sens de découvreur) de l’art des clients d’asiles psychiatriques, des cinglés du bord des routes ou des façonneurs de jardins miraculeux, ce qu’il a appelé l’art brut, par opposition à l’art raffiné autant que du sucre blanc mais sans saveur.

Marchand de vin, Dubuffet ne l’a jamais été. Nul petit commerce, comme ceux dont il représente la vitrine dans quelques peintures de jeunesse. Son père, compte en banque et grande bibliothèque où Jean ira faire ses lectures, était un gros négociant en vin au Havre. Belles maisons, voitures remarquables, domestiques. Jean a mauvais caractère. Il n’aime pas l’ordre, pas toujours. Il «monte» à Paris après la Première Guerre mondiale. Suivent des cours de peinture à l’Académie Julian. Six mois. Ensuite, la vie d’artiste, les doutes qui vont avec, puis un voyage en Amérique du sud. En 1925, il revient, reprend l’entreprise familiale et se marie avec une belle de bonne famille. C’est sa phase chic. Jusqu’en 1933, puis peinture puis retour au négoce, et en 1942 définitivement la peinture.

Dubuffet aimait les marginaux mais n’en était pas un. Il avait la trogne, la tenue, le propos direct et destructeur du culturellement correct, expression pas encore en vogue de son temps. Il pratiquait un art râpeux – matières, formes symboliques, couleurs parfois vives. Le contraire d’un académisme dont il n’aurait pas eu les moyens. Comme beaucoup d’artistes des années 40-50, il n’était pas un peintre doué mais un homme dont l’infatigable pensée sur l’art lui a permis de créer une œuvre personnelle. Beaucoup de livres, de critiques de l’ordre établi bâties sur un socle confortable, des légendes bien entretenues, et le sens du commerce appliqué au marché de l’art.

Avec son tempérament d’anarchiste né dans des draps de soie, Jean Dubuffet est une personnalité contradictoire dont l’art est lui aussi contradictoire. L’apparent désordre du sien est calculé, savant, voire appris. Il n’y a personne de plus intégré que lui au monde artistique de son temps, alors qu’il défendait les artistes venus du dehors, la spontanéité d’une création hostile aux règles et aux conformismes, tout ce dont il savait lui-même, avec malice, rendre l’essentiel dans son œuvre.

Tout l’été, Le Temps remonte les chemins tortueux qui ont aidé certains des plus grands artistes à trouver leur voie.

Il faut bien commencer quelque part (4)