Un labeur avec le sourire, mais un labeur de titan. Au Grand Théâtre, c’est la surchauffe. Costumiers, perruquiers, menuisiers et accessoiristes s’affairent jusqu’à la dernière minute pour satisfaire le maître Jérôme Savary. Derrière son visage de saltimbanque, l’homme de théâtre français est d’une exigence folle. Il y a un an, déjà, que parvenaient au Grand Théâtre les maquettes de L’Etoile de Chabrier, nouveau spectacle conçu avec le décorateur Ezio Tofolutti. Ces dernières semaines, la tension n’a cessé de monter. D’un atelier à l’autre, le bazar Savary réclame des mains ouvrières laborieuses, inventives, pour répondre à une pensée en ébullition.

«La difficulté, c’est que Jérôme Savary a une idée tous les quarts d’heure, s’exclame Fabienne Duc, cheffe des ateliers costumes. Il a rajouté des hôtesses de l’air, un skateur, des moines, un travesti… A un moment donné, j’ai du dire stop, parce qu’on perdait trop de temps avec les rajouts.» L’atelier costumes, à l’avenue Sainte-Clothilde, est un monde en soi. Un dédale de machines à coudre et de fers à chaud… «J’ai dédoublé l’atelier avec un autre espace au sous-sol pour suivre le rythme de travail.» Ouvrières et ouvriers sont 30 à 35 – dont une dizaine de surnuméraires – pour réaliser les costumes cubistes et constructivistes demandés par Savary et Tofolutti.

Les dessins ont beau été remis bien à l’avance, c’est aux employés de trouver les matériaux, imaginer les formes, respecter les proportions afin de donner corps aux idées les plus loufoques. «Un jour, Ezio Tofolutti est arrivé avec une pièce de monnaie. Il a posé l’ euro sur la table, sur la face qui présente L’Homme de Vitruve de Leonard de Vinci. Il m’a dit: tu cherches, tu trouves, tu t’amuses…» Et c’est ainsi pour tout objet.

Non seulement chaque costume est une «pièce en soi» (19 costumes uniques pour les choristes, une douzaine pour les solistes), mais il faut l’adapter à chaque individu selon sa taille, son tour du cou. «Il s’agit de solutionner techniquement en trois dimensions ce qui l’est en deux sur les maquettes», résume cette costumière. Particulièrement corsé, l’un des prototypes présente deux femmes – les «jumelles» – dans le même costume. Deux semaines de travail. Autre gageure: des manteaux-armoires pourvus de tiroirs et de placards. Là aussi, une douzaine de jours fut nécessaire, d’un premier modèle en carton à la couture finale. «On m’avait suggéré d’utiliser du papier ou du carton, mais ça ne tient pas!» ironise cette femme. Poids estimés des costumes: de 6 à 10 kilos.

Ces trésors de créativité s’expriment à tous les échelons de la maison. A l’étage des perruquiers (retour dans la bâtisse du Grand Théâtre), on imagine des solutions pour la chevelure de Lazuli (personnage de L’Etoile). «On a fait d’abord une recherche de cheveu de couleur jaune frisé pour donner l’illusion de flammes, explique Karine Cuendet, de l’atelier perruques et maquillage. Comme le chapeau est posé dessus, les cheveux doivent êtres élastiques pour qu’ils s’ouvrent quand on retire le chapeau.» Complication supplémentaire: le chapeau fume grâce à une télécommande à distance. Perruquiers, chapeliers et accessoiristes joignent leurs savoirs pour ce seul objet.

Et dire que les chanteurs eux-mêmes doivent s’habituer à revêtir des tenues… inhumaines. Le clou du spectacle, c’est un costume de «gros bébé» qui a nécessité trois semaines et demi de travail réalisé par deux personnes, dont un expert dépêché à Paris. «Ce n’est pas lourd, mais c’est chaud!», dit Jean-Paul Fouchécourt. Le ténor, qui campe le Roi Ouf, a fait trois à quatre essayages qui ont duré chacun deux heures pour ajuster les proportions.

Savary a-t-il idée du labeur investi pour son bijou d’opéra-bouffe? «C’est l’un des dernières maisons où l’on fabrique tout sur place», s’émerveille le saltimbanque. Lui-même a délaissé un détachement qui fâche parfois pour s’investir à 200%.

«L’Etoile» de Chabrier au Grand Théâtre de Genève. Me 4, ve 6, lu 9, me 11, ve 13 et di 15 nov. à 20h. (Loc. 022/418 31 30)