Collection
Un jour à Sydney, un autre à Séoul, l’artiste jurassien, 27 ans, frappe par sa fantaisie et sa liberté de ton. Il réalise à la demande du «Temps» une sérigraphie en édition limitée, destinée à nos lecteurs

La carte du Tendre d’un cœur ardent
Augustin Rebetez, 27 ans, donne un air de fête à tout ce qu’il touche. Poète de l’image, il réalise pour «Le Temps» une sérigraphie en édition limitée. Une œuvre généreuse qui lui ressemble
Une pièce jointe. On l’ouvre, et ce sont des cœurs. «J’ai fait une sorte d’alphabet», écrit Augustin Rebetez dans le message électronique. C’est sa proposition pour la sérigraphie qu’il a accepté de réaliser pour les lecteurs du Temps. Une seule image et en même temps beaucoup pour que chacun écrive, compose sa suite amoureuse. L’œil passe d’un élément à l’autre, fait son chemin selon l’humeur du moment. Augustin Rebetez a l’art d’être simple tout en offrant de la profondeur. Des cœurs, il en dessine régulièrement. Il y a des larmes et des fragilités dans ces petits dessins, de la force aussi. Il en est un qui lui tient à cœur, c’est le cas de le dire, et qui est retourné, avec une croix qui le barre. Une sorte de signe héraldique.
Composer, recomposer avec tout un vocabulaire d’images et de mots, et un sens aigu du bricolage poétique, c’est bien ainsi que l’artiste progresse lui-même dans ses expositions-installations. Qu’il s’agisse de projets plus photographiques, ou mêlant les médias, avec des peintures, des objets, des écritures, des petits films d’animation image par image, qu’il prépare seul ou le plus souvent avec l’un ou l’autre de ses amis créateurs. Comme c’est le cas cet été au Kunstmuseum de Thoune (jusqu’au 17 août) ou au Festival d’Edimbourg.
Quand nous avons contacté Augustin Rebetez, nous étions prêts à écouter toutes ses propositions, à nous laisser surprendre. C’est la force de ce jeune artiste d’avoir déjà un univers et de le développer dans différents médias. Swiss Photo Award en 2012, Grand Prix international de photographie de Vevey 2013/2014, il a un travail photographique reconnu, qu’il soit tout à fait personnel ou qu’il réponde à des commandes. Pour Le Poche à Genève par exemple, il signe des portraits de comédiens admirablement vivants depuis plusieurs saisons.
La photographie, il l’a apprise à l’Ecole de Vevey, avec un CFC d’abord. Il s’agissait d’avoir un métier, un savoir reconnu. Il a continué en formation supérieure, où il s’est senti plus libre. Il est encore à l’école quand il commence à exposer, à obtenir une reconnaissance avec ses images qui peuvent témoigner de beuveries de copains mais qui sont surtout très mises en scène.
L’école, ce n’est pas vraiment son histoire. C’est un rêveur. «J’ai appris à rêver quand j’étais petit», dit-il joliment dans l’interview vidéo que nous avons réalisée pendant la fabrique de la sérigraphie. A rêver et à dessiner. Sans doute ses parents sont-ils pour quelque chose dans cet enseignement de qualité. Une mère peintre et décoratrice, Michèle Martin, un père écrivain, journaliste, éditeur, Pascal Rebetez, voilà qui vous lie de façon intime aux arts dès le début de votre vie. Dans la fratrie, ils sont quatre – Eugénie épate aussi par ses talents multiples, danseuse hors norme qui se chorégraphie des one-woman-shows déjantés. Quand son frère la photographie, c’est explosif et tendre en même temps, comme une rencontre entre deux tempéraments.
Pour éditer les cœurs d’Augustin Rebetez, rendez-vous a été pris à La Chaux-de-Fonds, chez des sérigraphes amis (lire ci-dessous). Pas facile de trouver une date. Le jeune homme semble tourner plus vite que la planète. En mars, nous l’avions attrapé au téléphone au retour de la Biennale de Sydney, tout ensommeillé de cette traversée du monde. Le mois précédent, son galeriste zurichois, Nicola von Senger, lui avait organisé une exposition à Mexico. Et en mai, il allait repartir pour la Corée. «Je vais passer une semaine avec une famille d’artistes que j’ai rencontrés l’année dernière. Des gens très religieux que je vais photographier.»
Puis il y aurait encore ce séjour à Stockholm. La ville est connue pour son milieu circassien. Le Grand Prix de la photographie de Vevey a été décerné à l’artiste pour son envie de travailler dans cet univers. «Je ne travaille pas sur le cirque», précise-t-il. Bien sûr, il va créer son propre monde, comme toujours. Son cirque à lui. C’est du rapport des acrobates au corps, au déguisement peut-être aussi, de leur flexibilité, dont il a besoin pour aller plus loin encore dans ses mises en scène, faire tomber les barrières qui pourraient s’opposer à son imagination. «C’est un flux qui arrive en moi et qui est infini», décrit-il. Un flux nourri par ses rencontres, les moments passés avec les uns et les autres, dans son Jura comme au bout du monde, peu importe, tout cela enrichira l’exposition de Vevey en septembre, mais surviendra aussi dans d’autres accrochages, d’autres ouvrages aussi sans doute. Il en a déjà publié dans la maison d’édition paternelle, les Editions d’autre part, et, en ce mois de juin, il a encore trouvé le temps d’un aller et retour à Leipzig pour finaliser un livre d’artiste publié par les Parisiens de RVB Books, à paraître en juillet. L’artiste ne travaille guère au projet. «Je produis beaucoup, je suis pour la surproduction. Je dois faire beaucoup de dessins pour en montrer quelques-uns.»
Dans l’arcade de La Chaux-de-Fonds, pendant que le duo de sérigraphes s’active pour le premier tirage, qui va donner tous les éléments avec cet or un peu ocre qu’a choisi l’artiste – rien de clinquant –, lui prépare les pochettes qui les protégeront. Avec son cutter – «il vient du Japon, j’ai fait un détour en revenant de Corée» –, il termine le chablon qui lui permettra ensuite, juste là sur le trottoir, dans la belle lumière orageuse de ce jour, de sprayer son motif – des cœurs encore bien sûr – sur chaque pochette.
Trois couleurs, de l’or donc, un gris un peu bruni, du noir, ça ne se fait pas en un seul jour. Il faudra revenir encore, mais déjà, ce soir-là, tous ces petits bouts de cœurs dorés étaient une belle promesse.
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Augustin Rebetez
Extrait d’un texte écrit pendant la réalisation de l’œuvre
«Nous pleurons pour les aplatir ces vallées superbes et défricher les étagères anciennes ancrées au sommet des crânes»