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Les jeux de corps et de galets de Henry Moore exposés à Berne

Le Centre Klee réunit une trentaine de sculptures du Britannique mais aussi une quarantaine de dessins. Figures maternelles et guerrières permettent un regard rétrospectif

© Tate, London 2015/Henry Moore Foundation/ProLitteris
© Tate, London 2015/Henry Moore Foundation/ProLitteris

Les jeux de corps et de galets de Henry Moore

Exposition A Berne, le Centre Klee réunit une trentaine de sculptures du Britannique mais aussi une quarantaine de dessins

Au cœur de sa démarche, la figure humaine

On entre dans la vaste salle du Centre Klee comme on pénètre au milieu d’une assemblée humaine. Oui, malgré les quelques parois qui coupent l’espace pour accrocher les œuvres sur papier, malgré les différences d’échelles des sculptures, les présences sont sensibles. Henry Moore n’a cessé de s’intéresser à la figure humaine et l’on en a là, sous les yeux, une série de témoignages. Il faudrait même dire de témoins, de bronze essentiellement, mais aussi de béton, de pierre d’Ancaster, d’albâtre ou de bois. Flâner dans l’exposition, c’est aller à leur rencontre.

L’exposition est fondée sur des œuvres prêtées par la Tate de Londres, qui a consacré une grande rétrospective à Henry Moore en 2010, et par le British Council. Henry Moore, né en 1898 dans le Yorkshire, décédé en 1986, appartient à la mémoire collective anglaise. Ce qui est sans doute dû au succès de ses œuvres publiques à travers le monde, mais aussi à son statut d’«artiste de guerre» officiel pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 19 septembre 1940, Henry Moore se retrouve prisonnier d’une station de métro avec des Londoniens qui tentent de s’abriter d’une attaque aérienne. Ces figures inquiètes, allongées dans la pénombre, le marquent. Sans doute lui rappellent-elles son passé d’enfant de mineur, et son enrôlement pendant la Première Guerre mondiale. Victime d’une attaque aux gaz à la bataille de Cambrai, fin 1917, il sera éloigné des combats pour la fin du conflit. En tout cas, ces figures allongées dans une attente angoissée seront l’objet de maints dessins dans les mois qui suivent. Encouragé par Kenneth Clark, le directeur de la National Gallery, l’artiste transpose des croquis sur de grands formats et le comité des «Artistes de guerre», également présidé par Kenneth Clark, lui en achète une série. On peut en voir un dans l’exposition bernoise qui a gardé toute sa force d’inquiétude. Ces silhouettes blanches, allongées sur le coude, intranquilles sous les voûtes sombres, semblent se multiplier à l’infini, comme si l’horreur n’avait pas de fin. Ce sont d’abord ces œuvres qui assureront son succès auprès des Britanniques.

Le rapport de Henry Moore à la guerre fait l’objet d’une section spéciale. On y voit un Guerrier avec bouclier (bronze, 1953-1954), terriblement mutilé. Il protège derrière le cercle de métal ce qui lui reste de corps alors que le visage évoque les gueules cassées de la Première Guerre mondiale, l’effroi aussi, avec un regard simplement signifié par deux trous.

Tout près, dans la section des «masques et têtes», un bronze réalisé une dizaine d’années plus tard nous ramène encore à la guerre. Henry Moore avait déjà travaillé alors le motif du casque protecteur lorsque l’Université de Chicago lui commande une sculpture pour rappeler la première réaction atomique en chaîne contrôlée, réalisée dans cette ville en 1942. Henry Moore était alors engagé pour le désarmement nucléaire. Sa pièce va dire l’ambiguïté de ses sentiments vis-à-vis de cette énergie. Elle est presque abstraite, mais s’inscrit sous une forme ronde qui ressemble autant à un casque qu’à un champignon. Protection et danger sont rassemblés dans le même objet.

On retrouve la même ambiguïté dans la section qui ouvre en fait le parcours, consacré au duo mère et enfant. Il y a bien sûr un intérêt purement plastique dans ce tandem, qui permet de jouer avec les rapports d’échelles. Mais d’une sculpture à l’autre, Henry Moore montre aussi une grande diversité de relations entre ces deux êtres. Les liens sont organiques, tendres, ou tout à fait cruels. Comme dans cette pièce de 1953 où l’enfant est un oiseau au bec vorace que la mère tente d’éloigner de son sein.

Des figures debout de ses débuts, qu’il fait surgir de la matière, aux figures étendues qui n’ont cessé de l’inspirer, la préoccupation du corps ne quitte jamais le sculpteur. Très vite, il cherche des solutions en observant le minéral: des galets, des roches mangées par les rivières, des os. Très vite aussi, ses figures sont composées en plusieurs parties. Il emboîte des formes, qui se touchent ou ne se touchent pas, donnant l’impression qu’un mouvement est possible. L’exposition montre de grandes pièces, mais aussi des ébauches, ou maquettes, autour desquelles il faut tourner pour saisir cette impressionnante plasticité des sculptures de Henry Moore.

Henry Moore, Centre Paul Klee, Berne. Jusqu’au 25 mai. www.zpk.org

Il emboîte des formes, qui se touchent ou pas, donnant l’impression qu’un mouvement est possible