Jil Silberstein. Les Métiers de la rue. L'Age d'Homme, coll. Poche suisse, 210 p.

«Les gens, parce qu'on est sur la rue, ils croient toujours qu'on n'est rien du tout»: cette remarque un peu amère d'Eric, 44 ans, marchand de glaces l'été et de marrons l'hiver, explique peut-être sa bienveillance envers les marginaux, dont il se sent plus proche que des gens qui le snobent. Ce type de confidences, Jil Silberstein excelle à les susciter chez les vingt représentants des métiers de la rue qu'il a interrogés en Suisse romande: l'éventail est large, qui va du «Paganini du démonstrateur» de produits détachants, pour qui le marché est comme un théâtre, au «chevalier de la pelle mécanique» qui déneige La Chaux-de-Fonds en rêvant de soleil, en passant par la prostituée, le musicien ambulant, la salutiste ou le pucier.

Parue en 1990 aux Editions Favre avec des photographies de Jean Mohr (l'une d'elles orne la couverture de cette réédition), cette enquête est la première manifestation de la veine ethnographique du poète Jil Silberstein, qui s'est fait connaître ensuite d'un plus large public avec ses livres sur les Indiens montagnais du Québec-Labrador et sur les Kali'na de Guyane française. L'absence de jugement, l'écoute fraternelle, l'attention à la vulnérabilité de ses interlocuteurs dont il capte les soucis et les espoirs font la qualité de ces portraits.

Plus ou moins choisie, leur profession est souvent pour eux, malgré ses contraintes, source de satisfaction, sinon financière du moins humaine: elle leur offre l'indépendance, des rencontres et l'absence de stress – sauf pour le chauffeur de taxi ou l'ambulancier! Et certains, comme le marchand de marrons, le facteur ou le vendeur de la Loterie romande (qui exerce son métier jusqu'à moins huit degrés, pas plus), développent un sens de l'observation, une philosophie de la vie et un altruisme qui en font souvent, qu'ils en aient conscience ou non, d'indispensables chaînons du lien social.