Le producteur Jerry Bruckheimer a multiplié les attraits, à commencer par la horde du pirate Davy Jones, fantômes des abysses transformés numériquement en créatures d'aquarium avec leurs têtes de poulpes ou de requins-marteaux. Mais rien n'attire tant l'attention que Johnny Depp dans le rôle, mi-folle mi-gitan, du fourbe Jack Sparrow inspiré par Keith Richards, le guitariste des Rolling Stones qui jouera d'ailleurs son père dans le troisième volet de la saga en été 2007. Certes, l'effet de surprise est passé, mais Depp se régale comme jamais à jouer un personnage qui, du début à la fin du récit, cherche à fuir les affrontements, court comme une marionnette désarticulée et manque de se faire rôtir par une tribu cannibale qui en a fait son dieu.

En un mot comme en cent: la posture de Jack Sparrow dans le film correspond à celle de Johnny Depp dans le système hollywoodien. Vingt ans que ça dure. Depuis sa première apparition sérieuse dans Platoon d'Oliver Stone (1986). Il suffit de consulter la liste des cinéastes qui l'ont convoqué, tous des originaux avec, comme lui, des univers personnels forts et des positions souvent marginales: John Waters (Cry Baby, 1990), Emir Kusturica (Arizona Dream, 1993), Jim Jarmusch (Dead Man, 1995), Mike Newell (Donnie Brasco, 1997), Terry Gilliam (Las Vegas Parano, 1998), Julian Schnabel (Avant la Nuit, 2000), Roman Polanski (La Neuvième Porte, 1999) et surtout Tim Burton avec, depuis 1990, Edward aux mains d'argent, Ed Wood, Sleepy Hollow, Charlie et la chocolaterie,Les Noces funèbres et le prochain Sweeney Todd, biographie d'un barbier avide de vengeance après avoir été injustement emprisonné dans le Londres du XIXe siècle.

Quel acteur de sa génération, les jeunes quadras, peut en dire autant? Aucun. La plupart, les Nicolas Cage et autres Tom Cruise, se sont brûlés aux billets verts, à la flatterie et à la paresse. Pas lui. «Quand il joue un personnage, raconte sa compagne Vanessa Paradis, il l'invente... Pourtant, à chaque fois qu'il trouve un truc, il pense qu'il va se faire virer, qu'il va trop loin. Il n'a pas peur d'essayer, même dans l'extrême, il a juste peur de pas faire bien. En fait, il doute toujours.» Et voilà.

D'une certaine manière, Johnny Depp, avec sa carrière formidable et sa vie privée provençale, est, comme Jack Sparrow, un anachronisme: un artiste d'hier, bohème en diable, qui échappe aux scénarios à la mode. Ou plutôt les apprête à sa sauce, qu'importent les millions en jeu.