Lire Joseph Kessel est à chaque fois une redécouverte. Dans son «Dictionnaire amoureux» de l’écrivain-voyageur français, tout juste publié (Ed. Plon), Olivier Weber passe brillamment en revue tous les thèmes chers à ce géant d’origine russe qui dévora la vie et sut mieux que quiconque raconter l’aventure. Un moment particulier a toutefois permis, au festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo qui s’achève ce lundi 10 juin, de mieux comprendre l’écrivain et le journaliste Kessel, en la mémoire duquel un prix est décerné chaque année dans la cité corsaire. La journaliste du Monde Cécile Hennion l’a reçu dimanche pour son récit poignant Le Fil de nos vies brisées (Ed. Anne Carrière), qui dresse le portrait d’Alep, ville syrienne martyre.

Ce moment si particulier est un documentaire de 28 minutes, réalisé par Guy Seligmann à partir d’extraits d’entretiens télévisés et filmés donnés par l’écrivain décédé voici tout juste quarante ans, le 23 juillet 1979. Joseph Kessel parle surtout de lui. Mais il raconte aussi, en creux, les tourments qui vont avec la passion du voyage, de l’aventure, et le fait de côtoyer ces «héros» littéraires, politiques ou militaires dont il fit le sel de ses nombreux livres.

Kessel parle depuis l’Afghanistan, sous une tente, alors qu’un jeune Afghan lui sert le thé sans trop comprendre la présence des caméras. Le voilà, attablé, à parler de la guerre d’Espagne (1936-1939) qui lui valut d’être condamné à mort pour ses écrits par les forces franquistes. A évoquer, aussi, «ce paradis d’une violence merveilleuse» que furent les somptueuses années 1920 du Paris bohème, alors centre du monde. Kessel raconte, en 1927, ses virées au casino de Monte-Carlo, où il perdit tant qu’il décida, ensuite, de se faire lui-même interdire de jeu par le préfet de police de Paris Jean Chiappe, qui termina sa carrière comme haut-commissaire du régime de Vichy au Levant…

Lire aussi: «Une troisième voie est possible, entre Kessel et Google»

Kessel aimait la nuit riche de «ces heures qui se vengent de la vie normale et morale». Il dit pourquoi, toujours, il chercha «les hommes, les gens des quartiers» derrière les monuments et les faubourgs de toutes les villes du monde. A Saint-Malo, chaque année, le festival Etonnants Voyageurs est le rendez-vous de tous les destins itinérants, de tous les corsaires francophones du monde des lettres. Mais comment ne pas être abasourdi par ce destin-là? Né en Argentine en 1898, Joseph Kessel atterrit avec sa famille, à moins de 2 ans, dans une ville russe proche de la Sibérie, avant de grandir en France, à Nice, puis de s’engager dans l’aviation française en 1918, et de se porter volontaire… pour repartir à l’assaut du ciel russe.

On l’écoute et on le croit sur parole lorsqu’il explique, devant les caméras, que sa vie hors norme, qui le conduisit au final à l’Académie française, échappa à ses ambitions et aux objectifs qu’il s’était assignés. Impossible, on le comprend, de trouver un meilleur parrain pour Etonnants Voyageurs. Les chaînes de télévision francophones, RTS incluse, seraient bien inspirées de diffuser ce documentaire intitulé Kessel par lui-même. Car il dit tout de nous, du journalisme, de l’aventure et de la soif d’humanité qui a toujours guidé sa plume.


Le documentaire «Kessel par lui-même» a été réalisé par la Scam, la société des auteurs multimédia.