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Julian Barnes. À la France, l'écrivain anglais déclare un amour fidèle

L'auteur du «Perroquet de Flaubert» voue à la patrie de Madame Bovary, de José Bové et de Poulidor une passion qu'il décline en dix-sept chroniques, dans tous les registres, y compris la critique affectueuse et l'ironie légère.

Julian Barnes. Quelque chose à déclarer. Trad. de Jean-Pierre Aoustin. Mercure de France, 430 p.

Mario Vargas Llosa est-il meilleur que Sartre, quand il confesse Flaubert? Quelle est l'opinion de Mallarmé sur la bicyclette? Doit-on faire confiance aux biographes? Pourquoi Joyce aimait-il tant Bouvard et Pécuchet? Simenon a-t-il vraiment couché avec dix mille femmes? La cuisine française est-elle condamnée au déclin? Pleut-il beaucoup dans Madame Bovary? Pourquoi le Ventoux fut-il fatal à Tom Simpson? Les bons romans font-ils de bons films? Si la Joconde mangeait des asperges, cela se verrait-il à son urine?

Toutes ces questions sont du plus haut intérêt puisque c'est Julian Barnes qui les pose dans son nouveau livre, Quelque chose à déclarer (Something to declare). Lequel livre, on s'en doute, est parfaitement hétéroclite: l'auteur du Perroquet de Flaubert aligne dix-sept chroniques où il vagabonde au hasard de sa fantaisie, de sa gourmandise et de sa profonde érudition. Quant aux décors, ils sont français, exclusivement français: cet ouvrage, explique le Britannique, est un hommage au pays de la pétanque. Il l'avait déjà célébré dans Outre-Manche, au fil de nouvelles délicieusement pagnolesques. Il y revient ici, pour prouver qu'il est bien un incorrigible francophile, et un fin connaisseur des mythologies hexagonales.

Ouverture: Barnes raconte comment, à 13 ans, il écuma la campagne normande à bord de la vieille Triumph familiale. C'était l'époque des publicités Dubonnet, des Solex et de la TSF. La capitale de la France, en ce temps-là, se nommait Clochemerle. Dans les auberges, on servait aux touristes anglais «des tomates parfaitement comestibles», sur des nappes à carreaux. Et puis, il y avait le rosbif trop rouge et le vin trop aigre, «qui ressemblait à de la vinaigrette». Voilà pour les souvenirs. Avec un doigté à la Roland Barthes et un humour à la Evelyn Waugh, Barnes nous mitonne une belle tranche de nostalgie avant de dégainer les épithètes pour définir les Français: catholiques, cartésiens, machiavéliques en politique, jésuitiques dans la discussion, casanoviens en amour. Et très attachés aux odeurs du terroir. C'est pour cela que le romancier les aime. «Ma France à moi, prévient-il, est géographiquement provinciale et foncièrement rebelle; une France de José Bové plutôt que de l'eurocrate en costume.»

Quant aux artistes qui façonnèrent l'âme de ce pays, Barnes les fait défiler en un long cortège lui aussi très éclectique. Il y a d'abord les troubadours du microsillon, les divins rimailleurs qui enchantèrent l'après-guerre. Boris Vian, avec son ironie élégante. Georges Brassens, avec ses airs d'anar et sa voix bourrue. Jacques Brel, avec ses dents de cheval et sa légendaire tendresse pour les cocus de l'existence. Gros plan, ensuite, sur le Paris de la Nouvelle Vague et des Cahiers du cinéma, lorsque Truffaut et Godard s'étripaient à grand renfort de missives perfides. «Alors que le premier savait se montrer courtois envers ceux qui s'intéressaient sincèrement à son travail, le second était notoirement arrogant et agressif, présentant tacitement son mépris comme une preuve d'intégrité», ironise Barnes. Sur le cinéma, il signe un autre article, une analyse très détaillée de l'adaptation de Madame Bovary par Claude Chabrol. Avec cette conclusion: parce qu'il veut rendre visible la part la plus intime de la littérature, le septième art l'appauvrit considérablement.

Restent les peintres (belles pages sur Courbet) et les écrivains. Voici Edith Wharton, qui passa près d'un an à sillonner les provinces françaises à bord d'une grosse Panhard, au début du siècle. Voici Simenon, le marathonien du sexe et de la plume que Barnes peint en «fesseur fessé», qui n'a pas réussi «à plaire à sa mère, ni à satisfaire sa femme, ni à protéger son unique fille de ses démons». Et voici Baudelaire, Mallarmé, George Sand, Louise Colet. Entre eux, le Britannique jette des passerelles (amours, destins, affinités) avant de descendre dans l'arène pour embrocher les biographes de son mentor, l'inégalable Flaubert. Des «psycho-fureteurs», lance Barnes, qui asticote vertement Herbert Lottman. Et qui envoie le pauvre Sartre dans les cordes. Parce que son Idiot de la famille est «remarquablement mal écrit». Et parce que, au nom d'intuitions psychanalytiques souvent grossières, «il marqua Flaubert au fer rouge, avec une terrifiante grille théorique, comme un cuisinier imprimant de fausses marques de brûlure sur un steak, une fois qu'il est cuit».

A Flaubert, l'expert en ironie, le professionnel de la désolation, Barnes consacre d'autres textes précieux, où il parle de ses carnets intimes, de sa correspondance avec Tourgueniev et George Sand, ou des personnages secondaires qui, dans ses romans, ne se contentent jamais de jouer les figurants – dix pages magistrales sur le Justin de Madame Bovary. Quelque chose à déclarer, c'est la France à la mode Barnes. C'est son musée imaginaire, son jardin secret, ses enthousiasmes, sa provision de madeleines dans le garde-manger des souvenirs. En prime, un éloge du Guide Michelin, une ode au Tour de France des années Poulidor et un pèlerinage au Ventoux, sur les traces de Tom Simpson. Par un Barnes en pleine forme, qui pédale sur le grand braquet en maillot tricolore.