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Katerine, des pavés sous les plages

Avec le tranchant, jouissif et dansant «Robots après tout», sixième album en treize ans, le Vendéen délaisse ses minauderies pop passées. Sur sa boîte à rythmes aux airs bon marché, derrière les futilités, se planque la gravité.

«Quand les numéros font leur numéro, c'est émouvant.» Katerine, féru du chiffre huit parce qu'il «signifie plus ou moins l'infini une fois couché» et obsédé par les nombres en général, se livre à un sacré numéro de chanteur au fil d'un Robots après tout comptant aussi son lot de détails chiffrés. Ce sixième album en treize ans du Vendéen né un 8 décembre 1968 profite surtout de faire table rase du passé.

Fini les «Je vous emmerde» badins, les déclarations d'amour à un poulet ou les «C'était beau à vomir» qui peuplaient L'Homme à trois mains et 8e ciel. Même si les histoires sans queue ni tête en apparence perdurent, à l'image du rêve d'une respiration synchronisée de «6 milliards d'êtres humains», d'un délire paranoïaque autour d'une blonde qui s'avère être Marine Le Pen ou de ce type qui songe à des choses graves au moment d'une éjaculation précoce.

Parmi les nombreux déclencheurs de ce virage à 180 degrés, une boîte à rythmes, groovebox dont il n'avait heureusement pas le mode d'emploi: «Avant, avec la guitare, j'étais davantage contraint à la mélodie, et donc à la servir en la respectant. Là, je n'avais pas grand-chose à respecter, excepté une rigueur dans les rythmiques. Cette rigueur m'a permis d'être plus libre même si des mélodies apparaissent par endroits. Et surtout dans l'interprétation, où je joue parfois à la Castafiore, parfois à l'enfant pleurnichard ou au chanteur très énervant.» Autant de jeux de rôle jouissifs où priment les mises en scène et les atmosphères sonores bon marché et groovy, reléguant a priori le sens à l'arrière-plan.

Jusqu'ici, la désinvolture ludique de ce lunaire dégourdi s'épanouissait essentiellement sur des minauderies pop affichant un délicieux penchant pour les psychédélismes seventies. Terreau fertile où ses classieuses musiques rétro accueillaient une prose aussi absurde que moderne. Dans lesquelles sa légèreté, sa frivolité, sa schizophrénie, sa paranoïa, ses obsessions (oiseaux, hôpital, sexe ou religion) et son sens de la mise en scène faisaient souvent mouche, entre «insecte merveilleux» écrasés sur des «visages adolescents absolument consentants» ou apologies de l'inutile et de la paresse. Reste que derrière les airs enfantins, anecdotiques des chansons de Robots après tout, Katerine explore des thèmes sociaux graves: relations entre le collectif et l'individu, entre humains et robots, entre politique et culpabilité, l'uniformité et la différence ou encore l'exclusion.

Un écheveau de contradictions, de pulsions-répulsions qu'il matérialise en recréant un monde, «sa secte» comme il la nomme. Sans jamais censurer ce qui lui passe par la tête, en «fonçant sans chercher à faire joli ou poli», en fricotant avec les extrêmes: «C'est un monde similaire à celui qu'on vit mais qui se nourrit uniquement de lui-même. Un monde avançant par représentations mais débordé par les mêmes problèmes. Un monde peuplé de gens clonés et habillés comme sur la pochette du disque. Une secte de survivants en somme. Je me suis demandé ce qu'on y chantait, ce qu'on y disait et pensait sur la base de mes expériences personnelles.» Chez Katerine, ce répertoire neuf émane plus que jamais des réalités de son propre vécu, entre les observations recueillies durant ses innombrables balades ou les réflexions survenues pendant les quinze heures quotidiennes passées dans son lit. «J'ai traqué une forme de crédibilité. C'était ma manière de trancher avec mes rêveries d'avant.»

Parmi les autres déclencheurs de cet album léger-profond et clair-obscur - né «par hasard» alors que Katerine venait de terminer son «film Arte Povera à 1000 euros Peau de cochon sans histoire et constitué uniquement de plans-séquences» - figurent aussi la danse contemporaine et l'improvisation qui a réveillé une écriture automatique. Comme sur le disque, Katerine a éprouvé de nouvelles formes de création à travers des outils inédits, loin de cette chanson française qui lui semble figée et coincée dans de vieux stéréotypes de joliesse. «Les spectacles de Mathilde Monnier, chorégraphe de danse contemporaine avec qui j'ai un projet pour l'an prochain, m'ont étourdi. On y retrouve parfois de la non-danse, comme la non-écriture en chanson vers laquelle je tends de plus en plus. C'est un endroit où il est question de théâtre, de musique, d'improvisation; un domaine plus libre, moins sclérosé et nostalgique que la chanson. La danse comme l'art contemporain posent beaucoup de questions sur l'évolution artistique. Avancer en pensant à des expositions, au cinéma, à des spectacles permet de nourrir mon activité de chansonnier et de la remettre en question.»

Robots après tout (Universal).