L’intégrale des sonates (chez EMI), entre 1993 et 2003, est ce sentier de réflexion qui deviendra une procession vers le commencement. Stephen Kovacevich a dû «mûrir pour apprécier les opus de jeunesse». Ce qui explique peut-être pourquoi le nouveau calibrage des Diabelli, gravé l’an passé pour Onyx, regorge d’une liberté magnifiquement renouvelée. Le thème fondateur de l’édifice, en forme de valse (Beethoven l’a empruntée au compositeur Anton Diabelli), se nourrit d’une impatience sous-jacente qui traverse les 33 Variations. Il y a une lutte dans le jeu de Stephen Kovacevich (la fin de la variation n° 10!), une violence dans cette manière de capturer la musique, de la maintenir au sol avant qu’elle ne se déborde elle-même (le swing des variations n° 16 et n° 17); la menace filtre jusque dans les plages recueillies, bercées par le mystère d’une pédale prodigue (variations n° 20 et n° 24).
Oui, l’œuvre se débat entre les doigts de l’interprète; et c’est bien la preuve qu’il est de ces alchimistes capables de rendre à la musique son souffle premier. Au risque, parfois, qu’elle s’échappe: l’épreuve de la scène, il y a quelques années, a bien failli avoir raison de Stephen Kovacevich, fatigué de ses propres inconstances en concert. Cause évoquée, une tension nerveuse excessive. Cette tension qui, au fond, fait la verve essentielle et singulière du pianiste américain.
Chaque semaine de l’été, Le Temps détaille l’œuvre phare, les influences et filiations, l’époque d’un artiste qui fait l’actualité.