C’est l’une de ces rares expositions dont on ressort plus heureux que lorsque l’on y est entré. Avec un bonheur généreux qui colle au cœur, sur lequel on se laisse porter, comme si pendant toute la visite, on nous avait pris par la main, doucement, et montré combien la vie peut-être belle lorsque l’on a foi en l’autre.

Gérard Uféras est un photographe humaniste qui s’inscrit, il le revendique, dans la lignée de Willy Ronis et Henri Cartier Bresson. Depuis ses débuts au quotidien Libération, en 1984, il s’emploie à rendre des témoignages subtils sur les conditions de mal vie des déshérités comme sur les coulisses des défilés de mode, indifféremment. Il utilise une focale courte, pour être au plus près de son sujet, de la vérité de l’instant.

La première rencontre avait eu lieu à Genève, à l’occasion d’une fête justement. La joie du photographe, de faire partie de cette communion humaine où il percevait, peut-être plus que d’autres, tout l’amour que chacun était venu offrir, était palpable. C’est ce soir-là qu’il a commencé à raconter l’histoire de ce reportage de deux ans, qu’il a passés à écumer quelque 70 mariages et pacs d’inconnus. De ce matériau tissé d’émotion et d’espérance folle, il a fait une très belle exposition.

Le jour du vernissage, Gérard Uféras a commenté cette aventure singulière au fil des images. En regardant les photographies, on éprouve le sentiment étrange d’avoir été l’un des convives, tant la fête, le rire, l’espoir sont universels. Sur les murs, quelques phrases des mariés, certaines d’une naïveté bouleversante, donnent envie d’y croire encore. Et en bande-son défilent des musiques captées pendant les mariages, des témoignages, des serments faits, pour un jour et on l’espère pour la vie…

Le Temps: Comment est née cette idée?Gérard Uféras: J’avais envie de faire un portrait de Paris et de sa population dans sa diversité. Je voulais montrer que, quelles que soient leurs origines sociales, culturelles, ou religieuses, tous les gens se ressemblent, qu’ils font tous le même rêve. Ils ont tous envie d’avoir la chance de rencontrer l’amour, de fonder une famille, d’avoir des enfants, et que ces enfants puissent faire la même chose, et donc vivre dans un pays en paix oû tout le monde se respecte.

– Vous avez choisi de suivre des cérémonies de mariage pour dire tout cela?

– Oui. Le mariage est commun à toutes les communautés. Ce qu’il y a de formidable en France, c’est que nous avons la chance de vivre dans une république laïque et la laïcité garantit à tous la possibilité d’exprimer ses convictions dans le respect d’autrui. Je ne sais pas si c’est pareil en Suisse mais en France, vous êtes tenus de vous marier civilement avant le mariage religieux. Et quand on se marie à la mairie, qui est «la maison pour tous», les portes doivent rester ouvertes car on ne s’engage pas seulement devant le maire, mais devant toute la société. On déclare ainsi en faire partie.

– Connaissiez-vous les mariés avant ou êtes-vous entré par hasard dans les mairies?

– Non. On ne peut photographier que des gens qui l’acceptent. J’ai fait un appel aux amis sur Internet, qui s’est propagé: il y a eu une sorte de toile d’amitié qui s’est tissée autour du projet. Je voulais défendre cette idée de tolérance et d’ouverture.

– C’était aussi un acte politique ce projet? – Oui, c’est un acte politique. Une des raisons fondamentales qui m’ont poussé à le réaliser, c’est que j’étais fatigué de voir que toutes les élections tournaient autour du repli sur soi. Je suis un fils d’immigré. Mes parents venaient d’Europe centrale, ils ont eu la chance d’arriver à Paris et moi de naître en France. La République, pour moi, signifie beaucoup. Je n’ai jamais songé mettre mes enfants dans une école privée: ils vont dans le public car c’est une école qui donne la même chance à tous. Je voulais témoigner de cela.

– A l’entrée de l’exposition, on découvre des portraits des mariés, mais hors mariage.

– J’avais fait les préparatifs, les mariages civils, religieux, mais pour donner du sens à tout ça, j’ai retrouvé tous ces gens chez eux, des semaines, des mois après, et je leur ai demandé de raconter leur rencontre. C’est à la fois une histoire particulière mais aussi une histoire de communautés. Elle raconte de quoi est fait le tissu de la population à Paris.

– On sent une telle énergie d’amour à travers ces images!

– Un mariage, c’est une parenthèse, on s’habille, on retrouve toute sa famille. C’est un voyage que tout le monde – des plus petits aux plus âgés – fait ensemble, du matin jusqu’au coucher. On sent cette envie de se dire que l’amour, qu’une meilleure vie, est possible. Je ne suis pas en train de faire un truc à l’eau de rose! Il y a une tendance dans la photographie contemporaine à représenter l’homme dans sa solitude, en général urbaine. Un homme qui ne comprend plus ni l’autre, ni son destin. Et c’est quelque chose qui m’agace profondément…

– Y a-t-il des histoires qui vous ont touché plus que d’autres?

– Tenez, eux par exemple. (Voir ci-dessus.) Elle n’a pas beaucoup d’argent et fait un boulot qui l’emmerde. Ses copines se cotisent pour lui offrir un voyage. Elle part au Chili car c’était le pays de ses grands-parents. Une semaine avant de rentrer, elle se retrouve dans une boîte de nuit de Valparaiso. Dans une des salles, elle remarque la ligne de cou d’un garçon qui l’émeut. Elle prend son courage à deux mains, traverse la foule et lui dit «embrassemoi». L’autre est avec ses copains. Il l’embrasse. Six mois après ils se marient! Lui était étudiant boursier. Il a arrêté ses études et a travaillé sur des chantiers pour économiser suffisamment d’argent pour la rejoindre. Ils se sont mariés à la mairie de Saint-Ouen. Après le mariage, on a traversé la place pour entrer dans le premier café. Chacun a pris une bière sur le comptoir, chacun a payé sa bière. Le soir on est allés dans une pizzeria des puces de Clignancourt et chacun a payé son dîner. Des copains musiciens latinos sont venus jouer de la salsa. On a dansé. Ils n’avaient pas un rond, c’étaient tous des bohèmes, et c’est un des plus beaux mariages que j’aie jamais vus!

– Vous êtes-vous senti parfois transporté par le bonheur partagé avec ces inconnus?

– Oui, bien sûr. C’est contagieux le bonheur!

Paris d’amour, Gérard Uféras, Salon d’accueil de l’Hôtel de Ville, 29, rue de Rivoli, 75004 Paris. Jusqu’au 31 juillet. www.parisdamour.comLe site du photographe: www.gerarduferas.com