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L’adoration des foules, d’habitude réservée aux stars planétaires du pop, suit Lang Lang comme une traînée de feu. Et quand l’artiste quitte le plateau après deux bis (pièces chinoise et cubaine pour rassembler tous les suffrages), c’est avec son mouchoir blanc à la main pour signifier que tout est vraiment fini. Un tissu imprégné de sueur, de larmes et de gouttes oculaires, qu’il offre en sortant à une spectatrice, sous les trépignements de la salle.
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Pourquoi tant de mots avant de parler de l’interprétation? Parce que Lang Lang, c’est ça. Beaucoup de bruit, de mouvement, de médiatisation aussi. Jusque dans son programme où publicités et partenariats sont liés à son image. Et enfin vient la musique… Bach, Tchaïkovski et Chopin. Un trio d’élite au centre duquel le compositeur russe trône en maître. Ses Saisons op.37a forment un kaléidoscope de douze pièces mensuelles aux teintes multiples. Paysage musical idéal pour Lang Lang, qui peut y glisser ses visions et sentiments excessifs en toute liberté.
Tant de rêves éveillés...
Du Coin du feu de janvier, baigné dans une douce tiédeur rêveuse, à la Troïka finale de décembre, montée sur ressorts dans des sonorités givrées, les touchers et les expressions les plus extrêmes offrent à la partition une infinité de possibles. Autant de rêves éveillés, de secrets délivrés du bout des notes et de traits d’une telle liquidité que les feutres des marteaux semblent s’être dissous sous les doigts du pianiste.
Il y a du génie dans la délicatesse de jeu et le velouté de timbre de Lang Lang. Dans l’incroyable définition des plans dessinés depuis le pouce jusqu’à l’auriculaire de chaque main. Il y a de la folie dans sa vitesse de vent et ses attaques de fouet (février) et dans sa déclamation expressionniste à force d’abus de nuances (mars). On se perd dans les échos de ses mélodies et le fondu de ses rubatos débridés (avril). On déguste un discours fleuri et un miroitement de gouttelettes distribuées en brume sur mai et juillet, alors qu’août gronde avant un automne flamboyant. Griffes sorties à gauche et pleurs mouillées à droite, les mois d’hiver se parent de grâce et d’une vitalité concentrée.
Maniérisme déformant
L’interprète chinois possède ce don d’évoluer à la lisière de l’envisageable. Un talent qu’on suit dans Tchaïkovski, mais qui s’égare dans Bach dont le Concerto italien devient méconnaissable, emprisonné dans un maniérisme déformant. Martèlements des attaques, phrasés décapés, absence sèche de pédale et battements de pieds pour rythmer l’allure contre minauderies de nuances rose bonbon: les contre-chants systématiques et les sauts de Zébulon virent vite à l’hystérie dans un univers qui ouvre sur bien d’autres perspectives.
Entre ces deux compositeurs opposés, le pianiste choisit Chopin encore et ses quatre Scherzi. Si la démonstration et l’écoute de soi sont toujours de mise, le language du Polonais convient mieux à Lang Lang. Entre les influences de Rachmaninov et de Liszt, on suit une interprétation qui retrouve le sens du romantisme. Là, l’ego et les débordements affectifs peuvent reprendre leurs droits et redevenir des atouts. Lang Lang souligne aussi brillamment la parenté des structures et des affects de ces quatre oeuvres, reliées par un toucher hypersensible et une virtuosité exacerbée. En grand expert du clavier.