L’Apocalypse selon les frères Larrieu
cinéma
Film épique, «Les Derniers jours du monde» imagine une fin des temps libératrice, en forme d’odyssée du désir
Pour une fois que le cinéma d’auteur français voit grand, sans nombrilisme ni distanciation poseuse, on ne va pas s’en plaindre! Avant tout, Les Derniers Jours du monde de Jean-Marie et Arnaud Larrieu est un film réjouissant, toujours surprenant et parfois même bluffant. Au point qu’on se demande bien comment Cannes a pu passer à côté de la chose, finalement présentée à Locarno sur la Piazza Grande, sous une pluie diluvienne de circonstance.
A Hollywood bien sûr, on en est arrivé à imaginer la fin du monde au moins dix fois par an. Mais au fond, c’est peut-être plus pour occuper les studios d’effets spéciaux que par angoisse réelle, pour justifier des salaires démesurés que pour creuser ce postulat. Rien de tel en France, où science-fiction et catastrophe restent des genres à peu près ignorés.
Dès lors, quand les frères Larrieu (Un homme, un vrai; Peindre ou faire l’amour; Le Voyage aux Pyrénées) s’emparent du roman éponyme de Dominique Noguez (Robert Laffont, 1991), l’incrédulité est de mise. Roland Emmerich et M. Night Shyamalan n’ont qu’à bien se tenir, surtout quand l’homme qui a fait trembler James Bond – on a nommé Mathieu Amalric, le meilleur acteur français de sa génération – vient défier Mel Gibson et Kevin Smith sur leur propre terrain!
Enfin… pas tout à fait. Car sous couvert d’apocalypse, ces délurés natifs de Lourdes (nés respectivement en 1965 et 1966) imaginent surtout un chaos libérateur, prétexte à mettre à l’épreuve tous nos tabous. Et bien sûr, sans le moindre sauveur à l’horizon. Où l’on retrouve les sempiternelles coucheries à la française? Oui et non, puisqu’il s’agit justement de les dépasser, en faisant sauter frontières géographiques aussi bien que de genre, mais aussi en bousculant nos catégories morales et autres certitudes réductrices.
Le scénario ne s’encombre guère d’explications. Simplement, il est question d’un virus dévastateur et d’eau contaminée, d’exodes massifs et de tensions internationales exacerbées par le spectre de la menace nucléaire. A Biarritz alors que le danger se précise, Robinson Laborde, représentant en bains taïwanais (sic), se remet de l’échec d’une aventure érotico-sentimentale pour laquelle il s’était décidé à quitter femme et enfant. Mais la belle Laetitia avait fini par disparaître aussi mystérieusement qu’elle était apparue. Dès lors, même ballotté par les événements de France à l’Espagne (Pampelune, en pleine feria) et retour (Toulouse, promue capitale de fortune de la France) et de femme en femme, Robinson n’aura de cesse de la retrouver…
Avec cette narration sur deux temps, à la lisière du vaudeville et du film d’action, ses scènes de foule aussi bien que de sexe, sans oublier des sauts à Taïwan et au Canada, les Larrieu ont fort à faire. Leur film part en tous sens? Tant mieux! L’odyssée de Robinson en quête de son beau Vendredi (l’androgyne mannequin dominicain Omahyra Mota, si exotique confrontée aux physiques «français moyen» de Karin Viard et Catherine Frot) n’en devient que plus captivante.
Du pavé de Noguez, les Larrieu ont gommé la datation de la catastrophe (2010) tout en étendant le rayon d’action du héros, élagué la philosophie sentencieuse tout en changeant son métier (il était scénariste). Des choix judicieux, qui confèrent un sentiment d’immédiateté et d’universalité accru. Mais ils ont conservé l’essentiel, c’est-à-dire cette épopée du désir qui verra Robinson approcher, via l’adultère, l’homosexualité, l’orgie et l’inceste (ces derniers juste évoqués, on n’est pas dans un porno) de cette liberté primitive dont il rêve. Dont nous rêvons tous, pour peu qu’on ose se l’avouer.
C’est dire si, malgré son humour et son côté aventures picaresques, Les Derniers Jours du monde n’a rien d’un canular. L’écran large et la photo de Thierry Arbogast (le chef opérateur de Luc Besson) impressionnent, la liberté de ton épate. En montant en puissance, le cinéma régional (Pays basque-Pyrénées) et volontiers scabreux des Larrieu embrasse soudain très large, si bien qu’on peut aujourd’hui lui trouver toutes sortes de parentés, de Pedro Almodovar à Bertrand Bonello (Le Pornographe, De la guerre).
Ne manque finalement à cette Odyssée sans patiente Pénélope, à cette Apocalypse sans Jugement dernier, où l’on finit par courir nu dans Paris désert et affronter l’inévitable avec une belle sérénité, qu’un seul élément capital. Appelez cela amour ou transcendance, peu importe. Car même s’il en est question entre Robinson et Lea (et dans la chanson finale de Léo Ferré), jamais le film ne parvient à nous le faire ressentir. Et sans ce frisson, il faut bien avouer qu’on reste un peu sur sa faim, aussi formidable que soit par ailleurs la réussite.
Les Derniers Jours du monde, de Jean-Marie et Arnaud Larrieu (France/Espagne/Taïwan 2009), avec Mathieu Amalric, Karin Viard, Catherine Frot, Omahyra Mota, Sergi Lopez, Clotilde Hesme. 2h10