L’art prend l’air en Provence
Sculptures
Avec ses lavandes et ses cigales, le sud de la France est un magnifique biotope à sculptures. Ainsi le Domaine du Muy, galerie à ciel ouvert, vient de se créer dans la région niçoise. Reportage

Avec ses lavandes et ses cigales, le sud de la France est un magnifique biotope à sculptures. Ainsi le Domaine du Muy, galerie à ciel ouvert, vient de se créer dans la région niçoise. Reportage
La Provence, c’est le beau temps permanent qui s’abat sur une région à la fois brutalement sauvage et rompue au tourisme. Et où l’abondance du public estival encourage les expositions d’art à ciel ouvert. Au point que la concentration de jardins de sculptures, privés et publics, au mètre carré y est sans aucun doute la plus élevée de France.
L’année dernière, le sculpteur Bernar Venet ouvrait au Moulin des Serres sa fondation. Une ancienne usine où l’artiste expose ses propres sculptures monumentales, mais aussi les œuvres de sa riche collection, fruits d’échanges avec les artistes américains Donald Judd, Frank Stella, Sol LeWitt, Robert Morris et Richard Serra. A quelques kilomètres, Château La Coste associe depuis bientôt dix ans les vignes de son domaine avec la création d’aujourd’hui. Les vingt œuvres de son parc s’allient à cinq bâtiments d’architectes dont un chais de Jean Nouvel, un pavillon de musique de Frank Gehry et trois autres réalisations du Japonais Tadao Ando.
Le dernier né de ces jardins où l’art contemporain s’expose en taille XXL s’appelle le Domaine du Muy. Une forêt de 10 hectares plantée de pins et de garrigues situées entre Aix-en-Provence et Nice. L’initiative revient à Jean-Gabriel Mitterrand, galeriste parisien et à son fils Edward, galeriste lui aussi, mais à Genève où il est installé depuis 2000. Et pourquoi ici? «Parce que j’aime le Midi. Et que ma mère venait de Marseille», explique le père, protégé d’un cagnard d’enfer sous un chapeau de paille de Panama. «J’avais ce rêve depuis trente ans. De faire un parc où l’art contemporain se confronterait avec la nature, où des artistes créeraient des œuvres spécialement pour cet endroit. La Provence est la seule région de France où les terrains sont assez grands pour ce type de projet. Il fallait encore en trouver un.» Et comment fait-on pour acheter un coin de l’Hexagone? «Grâce à une agence tout simplement, qui m’a proposé celui-ci.»
Au Muy, le chant des cigales accompagne un soleil qui ne chôme jamais. La région est réputée pour son climat méditerranéen. Elle l’est aussi pour servir de villégiature aux grosses fortunes qui, l’été, cherchent à se fondre dans ce paysage de maquis.
Pile en face du domaine, le galeriste Enrico Navarra possède une villa-showroom construite par Rudy Ricciotti où, juste au-dessus, le marchand de design parisien Patrick Seguin vient d’acquérir 40 hectares à flanc de montagne. «Tous mes collectionneurs habitent dans la région», explique Jean-Gabriel Mitterrand. «L’idée est de leur ouvrir cet espace pendant l’été. Mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à la sculpture contemporaine.» Cela dit, le domaine n’est pas totalement public. Avant de venir, il faut impérativement avoir réservé sa visite. «Pour des raisons de sécurité. Nous sommes des privés qui invitons des gens.»
Les œuvres viennent de plusieurs endroits. Certaines appartiennent à la galerie de Jean-Gabriel Mitterrand comme les pièces de Niki de Saint Phalle et de Claude et François-Xavier Lalanne, d’autres à des artistes qui ont consenti à les prêter pour au moins deux ans.
Certaines ont été produites en cofinancement. C’est le cas de Cloud Cities/Air-Port-City 9 Modules Metal de l’Espagnol Tomas Saraceno. L’œuvre consiste en une série de modules d’architecture futuriste plantés dans le sol ocre du Muy. Comme une sorte de vaisseau utopique échoué dans une géologie préhistorique.
Les œuvres qui le constituent n’appartenant pas toutes à une collection, voilà un jardin de sculpture qui pourrait passer pour une galerie à ciel ouvert. Disons plutôt que le propriétaire l’explique autrement. «Ce n’est pas son but a priori, même si les pièces exposées sont susceptibles d’être vendues.»
Les pièces justement. Jean-Gabriel et Edward Mitterrand ont fait appel à Simon Lamunière pour aménager ce jardin. Le commissaire d’exposition genevois connaît bien l’art contemporain monumental. Pendant douze ans il a dirigé Art Unlimited, la section de la foire Art Basel consacrée aux œuvres géantes. Au Muy, il a dessiné un parcours d’un peu plus d’un kilomètre sur lequel il a semé une quarantaine de sculptures en ménageant les genres et les époques, les pièces historiques et les travaux in situ.
Comme cette peinture murale que Claudia Comte est en train de terminer par 40 degrés. L’artiste suisse a carrément fait construire un mur en béton dans la garrigue. Un bloc de 6 mètres sur 3 qui déroule une variation en 3D sur le motif du carré. «C’est la première fois que je réalise un wallpainting en extérieur. Cette expérience m’ouvre beaucoup de nouvelles possibilités: des murs en croix, des surfaces courbes», explique l’artiste, qui expose en ce moment à Môtiers une autre installation en plein air. «Des ensembles de troncs qui, vus de dessus, forment un triangle. La peinture, la sculpture, chez moi tout est relié.»
Au cours de sa promenade, le visiteur helvétique égrène ainsi une liste de noms familiers: Gianni Motti, Peter Kogler, Sarah Morris, Carsten Höller, Sylvie Fleury, John Armleder, Roman Signer. «Ce sont des artistes avec qui j’ai l’habitude de travailler», explique Simon Lamunière dont le parcours culmine avec le banc de Jean-François Fourtou idéalement placé tout en haut d’une colline, avec vue imprenable sur le domaine. Le meuble, hors norme, donne au visiteur qui s’y assoit l’impression d’être un enfant. «C’est ça, reprend Simon Lamunière. Le parcours démarre en bas avec les 1600 boules argentées de Yayoi Kusama qui flottent dans l’étang, passe à des sculptures assez brutales en béton d’Isa Melsheimer et de Katja Schenker. Et se poursuit avec des œuvres ludiques: l’empilement de seaux géants de l’artiste indien Subodh Gupta, le carrousel des clowns noirs de l’Allemand Carsten Höller. A partir du banc, c’est la descente avec à gauche le mur de brique de l’artiste conceptuel des années 1960 Sol LeWitt, et à droite l’étoile écrasée de Mark Handforth de 2014.»
Là, le mental rejoint le pop et la géométrie reprend ses droits. Les associations sont parfois amusantes. Le monolithe en miroir d’Arik Levy qui renvoie le paysage du Muy précède une petite sculpture en acier corten rouillé d’Anthony Gormley. «Comment j’ai décidé des emplacements? J’ai voulu donner l’impression que les œuvres sont tombées du ciel.» Comme l’astronaute de Xavier Veilhan qui gît au milieu des broussailles, hommage à Youri Gagarine, héros de la conquête spatiale soviétique.
«Le parc va évoluer. Régulièrement, de nouvelles pièces vont venir s’ajouter et d’autres vont peut-être partir. Nous aimerions beaucoup demander à Richard Long ou Andy Goldsworthy de venir, par exemple. Mais dans l’immédiat, on va déjà inaugurer ce parcours qui ne bougera pas pendant au moins deux ans», reprend Edward Mitterrand devant le pavillon de Carlos Cruz-Diez.
L’artiste appartient à cette génération de créateurs brésiliens des années 1960 pour qui l’architecture, le design et la sculpture partageaient le même langage. Son Chromosaturation pour une allée publique est une réplique d’une pièce de 1965 où le visiteur expérimente des espaces en couleurs primaires. La boucle de la promenade est bouclée. Reste à parler de la maison, un mas typique de la région, qui accueille le visiteur. Elle est encore en travaux. Elle ouvrira dans un an. «La bâtisse faisait partie de l’achat du terrain, poursuite le galeriste. Nous avons mandaté l’architecte d’intérieure India Madhavi pour la rendre plus contemporaine et au paysagiste Louis Benech pour en végétaliser la façade. Ici on trouvera aussi plus classiquement des salles d’exposition», termine Jean-Gabriel Mitterrand dans la touffeur provencale.
Renseignements et rendez-vous sur www.domainedumuy.com
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Jean-Gabriel Mitterrand
Galeriste
«Depuis trente ans, je rêvais de faire un parc où l’art contemporain se confronterait avec la nature»