Laurent Golay, orfèvre du skateboard
Artisanat
Menuisier et passionné de glisse, le Combier fabrique des skates avec délicatesse. Son amour du bois, fondu dans celui de son sport fétiche, engendre des merveilles

C’est un vaste espace où trônent des machines endormies. La sciure par terre fixe les empreintes que laissent ses Vans sur le sol. Sur sa tête, une casquette. Ses vêtements de skate sont couverts d’un tablier. Laurent Golay est menuisier. Mais il a une passion. L’idée de concevoir des fenêtres et des escaliers toute sa vie ne lui disait guère. Il a donc modelé son métier en fonction et depuis dix-huit ans, sous la marque LGS Swiss Skateboard Company, il confectionne des skates dans son atelier du Brassus.
Ce sont de véritables joyaux de la glisse. Leur réputation les dit solides, durables et surtout beaux. «J’aime créer», dit simplement Laurent Golay. Il aime aussi la perfection du travail fini. «Il faut que ce soit parfaitement poncé. Parfaitement collé aussi.» Et comme pour se justifier, il ajoute: «On est au pays des horlogers, quand même.» A force de chercher la qualité, il a réalisé qu’il fabriquait des produits de luxe. Dans la vallée de Joux, il n’est pas le seul dans ce cas, et peu à peu les marques haut de gamme s’intéressent à ses confections. C’est d’ailleurs une commande pour une entreprise horlogère qui l’a occupé ces derniers temps. Le résultat, une planche de stand up paddle en bois évidée, trône au centre de son atelier: un défi qu’il a relevé et qui lui a valu 350 heures de travail d’orfèvre et des nuits blanches de réflexion. La voir presque prête est comme un soulagement pour le menuisier. Il a posé la paume à plat sur la surface de la planche. Doucement, il la caresse. Est-ce pour gratifier sa nouvelle création? Ou est-ce pour s’assurer de la perfection du ponçage? C’est ainsi qu’on touche le bois quand on l’aime.
Une mini-rampe dans le jardin
En fait, Laurent Golay est un passionné. Depuis qu’il a tiré ses premiers bords sur le lac de Joux en planche à voile, il est accro. Sa drogue est un mélange de vitesse et d’adrénaline. Très addictive, elle est appelée glisse. La marotte de son père, c’est la voile. D’ailleurs, avant les skates, l’atelier était pensé par le paternel pour y concevoir des bateaux. Peu étonnant donc que ce soit autour du bois et de leurs passions que père et fils se réunissent. Ils fabriquent d’abord un snowboard pour l’hiver: une planche de bois orange et vert fluo avec des carres de ski de fond. Puis pour l’été, le même duo conçoit une mini-rampe de skate qui prend place dans le jardin. Dès cet instant, le paysage sonore de la Vallée s’est étoffé d’un nouveau bruit: celui du fracas des axes et des roues sur un coping.
On ne vit que deux saisons, dans ce coin niché dans un synclinal du Jura. On s’y dit séparé du monde mais on y reste attaché à vie. «Si on la quitte, on y revient», sourit le skateur. Sa propre expérience l’atteste. Il a tourné le dos à sa Vallée pour des pentes alpines, plus raides et plus enneigées, où il a pratiqué le snowboard comme un assoiffé. Il a voyagé, il a glissé et puis, il est tombé amoureux. Padu partage les mêmes passions que lui. Ils ne se sont dès lors plus quittés et dans la Vallée, ils sont revenus.
Comme son père, il est devenu menuisier. Il reprend alors l’atelier et décide de faire ce qu’il aime: du skate. Il a 25 ans, c’était il y a dix-huit ans. Aujourd’hui, il produit quelque 500 planches par an.
Se briser comme du verre
Il est parti la fleur au fusil. «Je voulais concevoir un produit local avec des matériaux locaux», se souvient-il. Mais il a dû se faire à l’idée. Pas un seul des arbres de la forêt du Risoux ne servira à ses créations. L’expérience a suffi pour le convaincre: à peine est-il monté sur son premier skate fait maison que l’engin se brise comme du verre.
Résigné, il a alors commandé des plaques d’érable canadien, le seul bois qui présente la souplesse et la résistance nécessaires à la conception de planches à roulettes. L’arrivée du container en provenance d’outre-Atlantique devant l’atelier du Brassus a donné le coup de départ. D’abord, il reproduit la planche qu’il a tant aimée, puis, au fil des ans, il multiplie les modèles selon ses envies et les modes en vogue. C’est au fil des contests que sa marque se fait repérer dans les skateparks suisses. Peu à peu, une équipe de skateurs se forme autour de lui. Tous partagent cette même passion dévorante que le skate fait jaillir dans les entrailles d’un croqueur de vie. Et tous sont fidèles à LGS. Une nouvelle famille se crée.
Douter et continuer
Laurent Golay est heureux: son coup de tête de jeunesse l’a mené à faire le métier qu’il aime. Toutefois, parfois, il doute. «Tous les ans, je me demande si je continue», avoue-t-il. Jusqu’à présent, la réponse a toujours été positive. Il suffit d’une bonne session ou d’une nouvelle inspiration pour l’en convaincre. Mais dernièrement, son fils lui a annoncé vouloir lui aussi devenir menuisier. Lui aussi voudrait faire des skateboards lui-même. C’est un sentiment partagé entre plaisir et inquiétude qui habite alors Laurent Golay. Il hausse les épaules. «Aujourd’hui, j’assume le fait d’avoir été rêveur, mais parfois je me dis que vouloir vivre de cela est utopique.» En tout cas, son fils y croit.