A bord d’un minibus vert surmonté d’une tête d’autruche grotesque, une petite troupe théâtrale, composée de trois hommes (Abdou, Amine, Rabil) et de deux femmes (Jamila, Hind), roule joyeusement vers la première de leur spectacle. Ils sont enlevés par trois jeunes islamistes et conduits dans une villa isolée. Les cinq comédiens, ces impies, doivent être exécutés en exemple. Mais les ravisseurs n’arrivent pas à joindre par téléphone leur chef spirituel. Sans instructions, ils se retrouvent désemparés, écartelés entre leur idéologie et leur humanité. Sous la carapace du dogmatisme, derrière le pistolet qu’ils brandissent à tout bout de champ, ce sont des faibles. Dans son tee-shirt «Punk forever» (!), Mustapha le chef souffre de migraines et d’indécision; Omar est enfantin, simple d’esprit; et Anas, importé du Pakistan, un fanatique obsessionnel pas bien malin.

Les femmes, pas si faibles

Les sept protagonistes passent une semaine dans cette villa isolée, à s’observer comme chien et chat. Jusqu’à épuisement de la batterie de leur téléphone bien caché, les otages essaient de contacter la police. Les moments de révolte et d’abattement se succèdent, tandis que les islamistes procrastinent. Les femmes se montrent les plus pugnaces. ­Jamila ne tolère pas qu’Anas insulte sa mère, femme répudiée et courageuse. Hind se fait baffer, mais transforme les coups en honte pour celui qui les a portés.

Rappelant que le vrai courage s’exprime par les mots, non par les armes, les comédiens manient la dialectique, jusqu’à l’absurde. Anas, outré, lance à Rabil grimaçant: «Dieu t’a fait à son image et tu imites un âne? – Ce n’est pas un âne mais une autruche…» Alors que le commando a décidé de procéder aux exécutions, Amine réussit à obtenir une dernière volonté: donner leur spectacle. Evidente métaphore de la société marocaine, la pièce se déroule dans un asile psychiatrique, avec une autruche galopant parmi les fous. La catharsis est fulgurante…

Premier long métrage

Réalisateur, scénariste et comédien né au Maroc mais vivant et travaillant à Genève (il a notamment coécrit Opération Casablanca de Laurent Nègre), Mohcine Besri ­signe avec Les Mécréants son premier long-métrage. Une belle réussite. Palpitant, rigoureusement écrit, ce huis clos à sept personnages évite les facilités de la caricature et toute tentation manichéenne. En confrontant l’irrépressible élan libertaire à l’obscurantisme, il témoigne des enjeux du Printemps arabe et pose un principe ontologique indiscutable: «La valeur de l’être humain ne dépend pas de la longueur de la barbe ni de celle de la jupe.»

VV Les Mécréants, de Mohcine Besri (Suisse/Maroc 2012), avec Rabii Benjhaile, Abdenbi El Beniwi, Jamila El Haouni, Amine Ennaji, Maria Lalouaz, Aïssam Bouali, Mostafa El Houari, Omar Lotfi. 1h28. Séance en présence de l’auteur aux Cinémas du Grütli, dimanche à 17 h, dans le cadre du FIF0G (Festival du film oriental de Genève).