Publicité

«L’Avare», le naufrage d’un classique

A Lausanne, Gianni Schneider donne sa version de la comédie de Molière. Transposée en mer, cette lecture prend l’eau de tous côtés

qu’on a vu si excellent chez Lassalle, compose un Harpagon larmoyant et pathétique à Kléber-Méleau. — © Anne-Laure Lechat
qu’on a vu si excellent chez Lassalle, compose un Harpagon larmoyant et pathétique à Kléber-Méleau. — © Anne-Laure Lechat

«L’Avare» ne trouve pas son cap

Scène A Lausanne, Gianni Schneider donne sa version de la comédie de Molière

Transposée en mer, cette lecture prend l’eau de tous côtés

Mais pourquoi Gianni Schneider demande-t-il à Jean-Damien Barbin d’interpréter Harpagon comme s’il était le fils caché de Sarah Bernhardt et de Louis Jouvet? L’acteur français, qu’on a adulé pour sa distinction chez Jacques Lassalle, roule ici de grands yeux effarés et déclame son texte avec des effets de gorge si appuyés qu’il ressemble à un tragédien compassé.

Pourquoi, surtout, le metteur en scène lausannois situe-t-il son Avare sur un yacht rutilant, alors que le célèbre personnage de Molière est un radin atrabilaire qui ne parvient même pas à dépenser pour acheter de quoi s’habiller? Il en va des choix dramaturgiques comme d’une tenue de sortie. Un mauvais costume et la soirée est ratée. A Kléber-Méleau, mardi, soir de première, le public a beaucoup applaudi. On salue son enthousiasme pour une lecture qui procure effarement et ennui.

Les réponses aux questions liminaires, Gianni Schneider les donne volontiers. S’il dirige de la sorte le comédien principal, c’est pour souligner le caractère solitaire et angoissé du personnage. Non, Harpagon n’est pas un bourreau qui lèse ses proches par appât du gain, dit le metteur en scène. C’est un homme mélancolique qui, ayant fait fortune, «vit dans la peur de perdre sa place dans la société en perdant son argent. Sa méfiance devient paranoïa et finira par devenir folie.»

Le problème, c’est que Jean-Damien Barbin affiche les signes du déséquilibre plus qu’il ne les incarne. D’entrée, son parler guttural, son débit ralenti et sa mine chiffonnée l’enferment dans une imagerie pathétique de la maladie qui contamine la représentation. Car Harpagon est presque de toutes les scènes et sa seule présence fige l’action.

Quid du yacht? Il est le résultat d’une transposition. Gianni Schneider situe L’Avare, créé en 1668, en pleine crise financière de 2007. D’où le bateau de plaisance et les projections vidéo de Sébastien Dupouey, qui orchestre un défilé de marques de luxe sur fond de flots déchaînés. Déjà, l’effet visuel est vilain, mais surtout, il témoigne d’une impuissance: si, pour défendre un propos, il faut l’afficher de manière si primaire, c’est bien que le jeu peine à le légitimer. Ceci, sans oublier qu’Harpagon, qui compte le moindre bouton, ne se serait jamais offert une telle embarcation…

Alors, interdites, les relectures des classiques? Non. Récemment, la Compagnie Pasquier-Rossier a livré une Illusion comique en mode bande dessinée qui relayait parfaitement le caractère insolite de ce texte de Corneille. Ces jours, à Vidy, Christoph Marthaler assèche La Poudre aux yeux de Labiche pour en faire surgir le grotesque mortifère, et c’est un coup de génie.

Mais dans ces deux cas, les comédiens surfent sur la proposition. Ici, les acteurs, pourtant très bons sur le papier (Hélène Cattin, Michel Cassagne, Christian Scheidt, Caroline Cons…), semblent flotter. Flotter ou couler, car impossible de jouer avec un personnage central aussi barricadé. Avec cette vision, Gianni Schneider a voulu dénoncer le naufrage actuel qui veut que «la consommation l’emporte sur les enjeux citoyens». Le naufrage n’est pas là où il l’espérait.

L’Avare, jusqu’au 14 déc., Kléber-Méleau, 021 625 84 29, www.klebermeleau.ch. Puis, en 2015, Carouge, Bienne, Yverdon et Monthey. www.giannischneider.ch

Harpagon, propriétaire d’un yacht, vraiment? Lui qui compte le moindre bouton…