Léa Pool et la féminité
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Après cinq ans de silence, la réalisatrice revient en toute simplicité
On était sans nouvelles de Léa Pool depuis Mouvements du désir, il y a cinq ans. Temps d'arrêt provoqué par des réactions mitigées? Crise d'inspiration? Quoi qu'il en soit, la cinéaste helvéto-canadienne (née et éduquée en Suisse, mais émigrée au Canada) donne l'impression de partir sur de nouvelles bases avec Emporte-moi, un film qui marque un retour à plus de simplicité. Largement autobiographique, ce récit d'apprentissage révèle une des constantes de l'œuvre de la réalisatrice: l'absence de la mère. «C'est le moteur de beaucoup de mes films. Je crois que je fais du cinéma pour récupérer cette mère absente, la recadrer.»
Hanna, 13 ans en 1963, a ses premières règles en vacances chez ses grands-parents au bord de la mer. « A quoi ça sert?» «A rien», répond la grand-mère, avant d'ajouter en soupirant: «Mais si ta mère n'avait pas saigné, tu ne serais pas là.» De retour à Montréal, Hanna ne peut confier son désarroi ni à son père, écrivain et chômeur, ni à sa mère «malade des nerfs», qui ont déjà bien assez de problèmes. Elle fera donc ses premières expériences avec pour seul complice son frère aîné, puis la rencontre inespérée d'une œuvre qui lui ouvre les yeux: Vivre sa vie de Jean-Luc Godard, voyage dans l'âme d'une jeune prostituée incarnée par une sublime Anna Karina. «Je crois que la féminité se construit avec l'identification avec son semblable. La mère en premier lieu. Quand elle n'est pas là, les petites filles trouvent des figures de substitution. C'est le propos de mon film.»
Tout du long, ce portrait d'une jeune fille sera traité avec une rare délicatesse. La fraîcheur de Karine Vanasse n'y est pas pour peu de chose, mais Léa Pool lui a offert un véritable écrin. Sans parler de l'époque revisitée, qui peut paraître bien innocente aux yeux d'aujourd'hui… Pour autant, la nostalgie n'est pas le moteur de ce film d'initiation, qui essaie de coller au plus près d'une conscience pour relater son éveil aux dures réalités du monde: sexualité, certes, mais aussi argent et héritage familial.
«Emporte-moi», de Léa Pool (Canada-Suisse-France, 1999), avec Karine Vanasse, Pascale Bussières, Miki Manojlovic, Alexandre Mérineau.