Roger Chartier est un monstre sacré des humanités. Professeur au Collège de France, directeur d’études à l’EHESS, on doit à ce compagnon de route de (entre autres) Jacques Le Goff, au sein de l’Ecole des Annales, une quantité de réflexions et de livres majeurs: Lectures et lecteurs dans la France de l’Ancien Régime (1987), Les Origines culturelles de la Révolution française (1990), L’Ordre des livres (1992), La Main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur (2015), et tant d’autres. Il sera dès ce lundi à Genève pour donner plusieurs conférences, organisées dans le cadre des Résidences du Bodmer Lab, le centre de recherches conjoint de la Fondation Bodmer et de l’Université de Genève.

Ça ne va pas de soi

Roger Chartier, c’est aussi (et, pour nous autres, peut-être surtout) un chercheur qui a porté son regard sur ce que nous considérons généralement (de bonne foi, mais à tort) comme des choses allant de soi lorsque nous nous adonnons à cette belle activité qu’est la lecture: qu’est-ce qu’un livre? Qu’est-ce qu’un auteur? Qu’est-ce qu’un lecteur? Ou encore: lire, ça ressemble à quoi?

Mais soyons plus précis: Roger Chartier est historien, il inscrit donc ces interrogations dans une dynamique temporelle. Dès lors, une question comme «lire, ça ressemble à quoi?» deviendra, chez lui, «comment la lecture a-t-elle évolué au fil des siècles?». Et ses réponses braquent des traits de lumière sur des évolutions (ou des phénomènes d’appropriation culturelle, selon son lexique) dont on n’a pas forcément conscience. Exemple: le fait de passer d’une lecture à voix haute (courante chez les antiques, c’était en quelque sorte une forme de performance) à une lecture murmurée (la ruminatio des monastères médiévaux) puis à une lecture silencieuse (celle qu’on pratique dans le train de nos jours – encore heureux!) a accompagné des révolutions de la forme qu’on donne aux écrits – les signes de ponctuation sont apparus, on s’est mis à placer des espaces entre les mots, etc.

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Une question comme «qu’est-ce qu’un auteur?» amènera à réfléchir sur les raisons pour lesquelles une bonne part des textes du Moyen Age sont anonymes, et sur la progressive affirmation, en arrivant aux temps modernes, de l’auteur comme figure d’autorité. Une question comme «qu’est-ce qu’un livre?» interrogera l’évolution des pratiques éditoriales, qui montre comment les œuvres littéraires se sont progressivement autonomisées – le manuscrit Français 860, conservé à la BNF et daté du XIIIe siècle, est un recueil contenant La Chanson de Roland, mais aussi La Chanson de Gaydon, L’Histoire d’Ami et Amile ou encore La Chanson d’Aubri le Bourguignon. Par contre, quand, en 1532, Claude Nourry fait imprimer à Lyon la première édition du Pantagruel de Rabelais, elle ne contient que le Pantagruel de Rabelais.

A Genève, Roger Chartier placera ses présentations sur quelques-uns de ces axes – en particulier sur la notion d’auteur, ou sur l’histoire de la lecture. On sera particulièrement attentif à la troisième d’entre elles (le mercredi 27), qu’il consacrera à la problématique de la traduction et à son corollaire fâcheux: l’intraduisible.


Lu 25 novembre (18h30), HEG Genève, Campus Battelle – Aula du Bâtiment B; ma 26 (18h30), Musée Voltaire; me 27 (18h30), Uni-Bastions (salle B108).