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L'effervescence catalane

La galerie Courant d'art a mis sur pied une opération catalane dans le Jura. Visites.

Au moment où il apportait les dernières finitions à sa galerie, Courant d'art, aménagée au fil de treize années dans la grange jouxtant sa maison à Chevenez, près de Porrentruy et non loin des grottes de Réclère et de leur Préhisto-parc aux dinosaures, Yves Riat organisait une opération catalane dans le Jura. Hormis Antoni Tàpies, artiste octogénaire dont les travaux originaux ont ouvert la saison au Musée jurassien des arts à Moutier, les peintres invités sont nés dans les années 1940 et 1950. Ils manifestent la vitalité de l'art catalan et l'influence persistante de Miró, de Picasso et précisément de Tàpies.

Pourquoi cet intérêt pour la Catalogne, de la part de l'artiste et galeriste jurassien, soutenu par les instances économiques et culturelles de son canton? Il y a bien trente ans qu'Yves Riat a des contacts avec Barcelone, limités d'abord à des échanges politiques, et la volonté de tracer un lien entre deux régions mues par leur «esprit combatif». Depuis qu'il a en partie délaissé ses pinceaux pour mieux promouvoir les artisans du renouveau artistique, au niveau local et national, avec une ouverture sur l'étranger, le fondateur de Courant d'art travaille volontiers avec les galeries et centres culturels espagnols.

Il se félicite d'avoir «mis la main à la pâte depuis longtemps», à Chevenez même, dans ce lieu totalement décentré, quelque peu boudé des Bâlois, mais fréquenté des Romands, jusqu'aux Genevois: «Ça bouge», explique cet acteur de la démocratisation de l'art, qui s'estime plutôt mieux loti que les galeristes de Genève, Lausanne ou Neuchâtel, confrontés à de gros loyers et à la baisse du pouvoir d'achat. Après des créateurs tels que Nando Snozzi, Daniel Spoerri ou Stéphane Montavon, Courant d'art accueille donc, sur plusieurs étages, deux plasticiens de Barcelone, Conxa Bravo et Eleazar.

La première, fille de ministre, avocate avant de devenir artiste, livre un travail fascinant, très coloré, chaotique peut-être, mais également typé, habité de figures récurrentes: la silhouette d'une femme-sirène, d'une mère dont le ventre est toujours occupé, flanquée de renards et d'oiseaux. Le second est non moins prolifique; ses compositions se révèlent davantage construites, souvent inspirées de pages de l'histoire de l'art. Leurs personnages sont empruntés aux grands maîtres du passé, de Botticelli à Picasso, en passant par Raphaël et Vélasquez. Par rapport aux peintures de Conxa Bravo, dramatiques et poétiques, les peintures et collages d'Eleazar, avec leurs inscriptions en majuscules et leurs personnages bien campés, expriment la force de l'humour, dans la ligne d'Eduardo Arroyo et de Manuel Valdes.

Au Café du Soleil à Saignelégier, Christina Broto, qui enseigne la peinture à la faculté des beaux-arts de l'Université de Barcelone, présente des portraits de fleurs, quelques nus, baignés dans la matière et dans les teintes grises, des toiles méditatives et proches de l'abstraction. Une belle peinture, qu'illumine parfois une flamme jaune ou quelques tracés rougeâtres. Josep Niebla, dont la fondation, à Casavells dans la Costa Brava, expose cet été deux artistes jurassiens, Stéphane Montavon et Jean-René Moeschler, occupe deux sites à Saint-Ursanne: les Fours à chaux et le Cloître. Deux sites magnifiques, dont le caractère et l'ampleur représentent un défi. L'artiste s'en sort magistralement.

Josep Niebla a suivi le parcours de l'abstraction à une figuration inspirée des événements politiques, la guerre, la condition des mineurs, les injustices. Il allie ainsi, de manière originale, un dessin raffiné, qui se veut lisible, et des plages abstraites, des formes monumentales dont le pouvoir est renforcé par une intrusion de la matière brute. Traversant un portique, le visiteur pénètre dans un monde à la fois glacé et brûlant, régi par l'urgence de dire, sans que l'artiste néglige le temps de bien le faire. D'où le soin apporté, par exemple, au non moins monumental catalogue qui accompagne cette double exposition. Outre Montavon et Moeschler à la fondation Niebla, quatre autres artistes du Jura, Jean-Pierre Grélat, Pitch Comment, Christophe Lambert et Franz Landry, sont attendus en octobre à la Casa Elizade à Barcelone.

Artistes catalans dans le Jura: Conxa Bravo & Eleazar.

Espace Courant d'art (Chevenez, tél. 032/476 63 70). Ve-di 16-19h et sur rendez-vous. Jusqu'au 14 août.

Josep Niebla. Fours à chaux et Cloître (Saint-Ursanne, tél. 032/461 31 48). Tous les jours 10-12h et 14-18h. Jusqu'au 7 août.

Christina Broto. Café du Soleil (Saignelégier, tél. 032/951 16 88). Ma-di 9-23h. Jusqu'au 7 août.