Le Temps: Marie fille-mère, Jésus enfant bâtard: quel est l’état de la recherche sur cette question?

Daniel Marguerat: Cette approche n’est pas majoritaire, elle est portée par quelques historiens et théologiens dont je fais partie. Je suis le premier à l’avoir diffusée en français mais c’est le savant juif américain Bruce Chilton qui m’a mis sur la piste de Jésus le bâtard ou mamzer. Les chercheurs du Jésus historique lancent des hypothèses puis doivent les corroborer par des traces documentaires.

Quelles sont-elles ici?

Dans l’Evangile de Marc, les gens de Nazareth disent en désignant Jésus: «N’est-ce pas le fils de Marie?» C’est absolument étonnant. Dans le judaïsme du Ier siècle, il est évident que l’on est le fils de son père. Or les gens de Nazareth connaissent Joseph et Marie, ils ont vu le ventre de Marie s’arrondir, ils ont vu Jésus grandir. «N’est-ce pas le fils de Marie?» veut dire qu’effectivement on connaît sa mère mais pas son père.

La deuxième trace documentaire se trouve dans l’Evangile de Jean, 8,41. Les Juifs disent à Jésus qu’ils ne connaissent pas son père et que «Nous ne sommes pas, nous, nés de la prostitution!» De ces deux traces, je déduis à titre d’hypothèse que, déjà du temps de Jésus, sa naissance était questionnée. Et qu’il était incapable de prouver la légalité de sa naissance. Pour cela, il a dû être ostracisé.

Lire aussi: «Le Bâtard de Nazareth»: un Jésus humain, si humain

D’où vient cette idée de Marie séduite ou violée par un officier romain, que reprend Metin Arditi?

C’est une lecture polémique juive très ancienne qui s’est déposée à partir du IIe siècle dans une tradition que l’on appelle les Toledot Yeshu et qui raille la lecture chrétienne d’une naissance virginale.

Metin Arditi fait de Marie Madeleine, ou Marie de Magdala, sa compagne et de Judas son disciple préféré. Qu’en pensez-vous?

Etonnamment, Metin Arditi a rejoint des fantaisies romanesques déjà apparues au IIe siècle. Dans des communautés marginales, on trouve deux Evangiles apocryphes qui n’ont pas été retenus par l’Eglise. Il s’agit de l’Evangile de Marie et de l’Evangile de Judas. Dans l’Evangile de Marie, Marie de Magdala est la confidente particulière et intime de Jésus et Jésus lui confie à l’oreille son enseignement. C’est un Evangile très important parce qu’il fait de Marie de Magdala la figure emblématique, la sainte de ces communautés marginales qui ont disparu. Cela dit aussi l’importance du rôle de la femme dans les communautés chrétiennes aux origines.

Et l’Evangile de Judas?

On en connaissait l’existence mais le texte n’a été découvert qu’en 2006. Dans cet Evangile, Judas est le disciple préféré de Jésus. Il est chargé par Jésus de le livrer aux Juifs pour qu’il meure et qu’il devienne le Sauveur des Hommes en montant au ciel. Metin Arditi pousse encore plus loin le personnage de Judas en en faisant le chargé de communication de Jésus! Mais il rejoint ces deux Evangiles, qui sont des romans sans aucune prétention historique.


Histoire. Daniel Marguerat, «Vie et destin de Jésus de Nazareth», Points, 420 p.