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«L'espoir plutôt que la provocation»

Membres du jury du Goncourt des Lycéens, des collégiens fribourgeois écartent Houellebecq.

Bousculade au sous-sol du collège Gambach à Fribourg. Depuis la mi-septembre, Jérémie, Léa, Pierre, Céline et Anne-Alexandra s'engouffrent dès qu'ils le peuvent dans la petite bibliothèque. A portée de main, dans une caisse, douze ouvrages sélectionnés par l'Académie Goncourt pour l'édition 2005. Sur les couvertures, pas une poussière. Une vingtaine d'élèves du collège les ont lus passionnément. Tous se sont portés volontaires: ils font partie du jury pour l'attribution du Goncourt des Lycéens. Une sélection en parallèle du Goncourt, lancée il y a dix-huit ans pour sensibiliser les jeunes lecteurs à la littérature contemporaine. Le jury, jusqu'alors uniquement composé de lycéens français, s'est ouvert cette année à des élèves romands.

Autour de la caisse, Jérémie, Léa et leurs camarades, âgés de 17 à 20 ans, ont rêvé, puis tranché. «D'abord, c'est le titre et la couverture qui nous ont attirés, puis le bouche-à-oreille a aiguillé nos lectures.» Douze livres, donc: 4000 pages absorbées en deux mois. Un travail de titan. «Nous avons reçu comme directive de ne pas intervenir afin de ne pas influencer leur choix», précise Suzanne Favarger, professeur de français. Chacun a procédé à sa manière. Résumés et appréciations pour tous, succession de mots clés pour certains, comme Céline: «Pour Houellebecq, j'ai noté ironie, cynisme, humour et vulgarité.»

Evoquer l'auteur de La Possibilité d'une île (Fayard), favori malheureux du Goncourt, suscite aussitôt le débat. Pierre: «J'ai pas honte d'avouer que j'ai aimé, j'ai lu ses précédents ouvrages. Il va toujours plus loin dans la provocation. Ici, le personnage, immonde, réunit toutes les tares de notre société.» Pierre fait partie d'une minorité. La Possibilité d'une île n'a obtenu que 5 voix, se plaçant en quatrième position du classement, ex aequo avec Falaises (L'Olivier), Lutetia (Gallimard) et Saint Sépulcre! (Fayard). Un classement qu'explique Jérémie: «J'ai trouvé crédibles ses propos sur le clonage comme substitut à la vieillesse. Ce qui m'a déplu, c'est sa description de la sexualité, crue, voire pornographique. Il y en a marre de la provocation, on en voit partout.» A la décadence morale, les jeunes jurés fribourgeois ont préféré des «récits porteurs d'espoir». Le tiercé gagnant fait l'unanimité: L'attentat de Yasmina Khadra (Julliard), suivi de trois voix par Magnus de Sylvie Germain (Albin Michel) puis du Pont de Ran-Mositar de Franck Pavloff (Albin Michel). Trois récits qui s'articulent autour d'un même thème, la guerre. «L'auteur de L'attentat, en nous entraînant dans la quête de cet homme marié à une femme kamikaze, réussit bien mieux que les images à nous sensibiliser au conflit israélo-palestinien», explique Léa.

Le choix de Magnus procède du même besoin de compréhension. Jérémie: «L'écriture de Sylvie Germain est époustouflante. Avec un style poétique, entrecoupé de références historiques, elle évoque la Seconde Guerre mondiale à travers le déracinement familial d'un petit enfant. Je n'avais jamais rien lu de si beau.» Pierre: «J'en avais marre qu'on me rabâche les oreilles avec la Seconde Guerre. Mais en offrant un point de vue inédit, celui des nazis, sous forme d'un long poème, cela appelle à l'imaginaire.» Le Pont de Ran-Mositar évoque la guerre en ex-Yougoslavie. «Non, beaucoup plus important, il traite de l'après-guerre, rectifie Léa. Et de la difficulté des peuples à se ressouder.»

Trois livres, trois conflits. Anne-Alexandra confrontera lundi, à Rennes, la sélection suisse à celles des lycéens français. Selon Pierre, qui a consulté les blogs d'autres jeunes jurés, la sélection française est très proche de celle des gymnasiens romands. «Ces livres évoquent la guerre, mais avant tout la nécessité d'instaurer la paix» analyse Jérémie. Et Céline de conclure: «A travers notre choix, on a envie de transmettre un message. Les académiciens appréhendent mieux que nous, ce monde qui ne tourne pas rond. Nous, on a besoin d'espoir, comme miroir de notre génération.»