Les superlatifs ont plu pour rendre hommage à l’immense Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue français disparu dans sa 101e année. Il avait exercé une influence décisive sur les sciences humaines dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment comme figure fondatrice de la pensée structuraliste.

Sur RSR-La Première, l’ethnologue Pierre Centlivres a évoqué le «personnage considérable», le «connaisseur de tous les arts», le «très grand savant». Oui, c’était «une légende de la pensée», renchérissent La Liberté de Fribourg, Le Courrier de Genève et L’Express/L’Impartial, les deux titres neuchâtelois. «Il savait tout», comme aimait à le dire Jean d’Ormesson, cité par le 19.30 de la TSR, ce précoce «défenseur de la biodiversité» qui «déplorait les ravages subis par la planète». Ce grand connaisseur des religions, dont l’islam, comme le fait remarquer le site Guysen Israel News, mais «qui ne se sentait d’affinité qu’avec le bouddhisme», écrivent Die Zeit et La Stampa.

C’était «l’intellectuel français le plus influent dans le monde», a décrété le Journal de France 2, «le dernier géant de la pensée» qui a «passé sa vie à tenter de savoir ce que les tribus humaines ont en commun», notamment dans son ouvrage Tristes Tropiques , publié en 1955, qui mêle méditations et récits de ses rencontres avec les Indiens du Brésil lorsqu’il enseignait à São Paulo. Car «un coup de téléphone a décidé de la carrière ethnographique de Claude Lévi-Strauss», rappellent 24 heures et la Tribune de Genève: «Nous sommes en 1934. Célestin Bouglé propose à un jeune agrégé de philosophie de devenir membre de la mission universitaire au Brésil. Il enseignera la sociologie, tout en poursuivant des recherches sur place.»

Une expérience qu’il évoque dans une interview au Figaro en 2005, où il raconte : «J’ai […] failli revoir les Bororos. Le quotidien O Estado de São Paulo avait organisé un voyage. Avec ma femme, nous avons pris un petit bimoteur à Brasilia. Après quelques heures de vol, nous avons atteint les territoires bororos où j’ai pu observer des maisons. Mais la piste était trop courte pour que l’avion se pose. Nous avons dû faire demi-tour sans avoir vu les Indiens. Le président Mitterrand nous attendait à Brasilia, où il donnait un banquet en l’honneur du président José Sarney. Nous étions en train de nous demander si nous avions assez d’essence pour rentrer, lorsque nous avons été pris dans un orage épouvantable. Heureusement, nous avons fini par atteindre Brasilia.» Sarney, aujour­d’hui sénateur, se dit d’ailleurs attristé sur le site de l’Agência Senado. Circonstances de la vie… «Les Indiens de l’Amazonie sont orphelins», s’imagine Paris-Match…

Il avait offert à Bernard Pivot un entretien, visible sur le blog L’Anthropologue, resté dans les annales. La télévision a montré ces images de la mythique émission Apostrophes, une vidéo choisie parmi les dizaines et dizaines qui montrent, sur le site de l’Institut national français de l’audiovisuel, mais aussi sur celui du Point, «la traversée du siècle du juif alsacien révoqué par le régime de Vichy». Les yeux toujours vifs derrière ses énormes lunettes, avec ce charisme un peu froid qui ne suffit pas à lever la confusion avec une célèbre marque de jeans! D’ailleurs, blague La Cerise sur l’info, the blog qui décape l’actu en profondeur, «longtemps, il parcourut les forêts d’Amazonie pour percer le secret et la nature des Indiens. Il découvrit ainsi leur mode de vie et surtout leur nudité fragile offerte en proie à la jungle. Alors dans la plus intense confidentialité, il inventa le jean!»

«Une référence», «un modèle», a dit plus sérieusement le Soir 3, qui a interrogé l’académicien français Frédéric Vitoux, pour qui il était une «autorité suprême»: «Même les plus beaux esprits s’inclinaient devant lui», ce «grand philosophe» et «grand humaniste», tout de même «assez désespéré à la fin de sa vie». Il «a marqué le siècle et les consciences. Il a renouvelé notre façon de voir le monde en faisant la synthèse de différents systèmes», analyse Le Soir de Bruxelles. Dans la presse écrite et sur les sites web francophones mercredi, l’abondance: près de 400 articles! «Tous les anthropologues français sont les enfants de Claude Lévi-Strauss», titre notamment Le Monde, qui évoque la «source inépuisable de méditation et de tolérance» et «la perte d’une figure tutélaire». Mais aussi, dans un autre article, ce savant qui s’aventura si loin «dans l’exploration des mécanismes cachés de la culture. Par des voies diverses et convergentes, il s’est efforcé de comprendre cette grande machine symbolique qui rassemble tous les plans de la vie humaine, de la famille aux croyances religieuses, des œuvres d’art aux manières de table. Le paradoxe des très grandes œuvres, celles qui sont vraiment décisives et novatrices, est de pouvoir se caractériser en peu de mots. Ainsi pourrait-on dire qu’il déchiffra le solfège de l’esprit.» «Dans la cacophonie de l’heure, une partition exemplaire.»

Mais «pas de chance, enchaîne le site satirique Désinformations.com: nos gouvernants ne sont pas vraiment des Mozart. Pour la plupart, ils préfèrent la grosse caisse à la Gran Partita, avec cette note magique tout haut perchée et qui tient le ciel au-dessus des misères de la terre.» «Cent ans de sollicitude», titre joliment Le Devoir de Montréal, en saluant «le grand saut de ce rousseauiste nostalgique d’un âge d’or perdu». Qui, dès 2005, relève Ouest-France, «ne se sentait plus de ce monde». «Si je suis vivant, c’est par inadvertance», disait-il.» Un «vieillard superbe», écrit L’Express: «Assidu aux séances du dictionnaire de son Académie, jamais en retard d’une lecture, musicologue averti, photographe génial, dessinateur talentueux […], un amoureux fervent et qui aima les chats, ou bien aventurier barbu qui chemine sous les branches d’orchidées fleuries dans la forêt amazonienne, une guenon criarde accrochée à sa botte gauche.»

Quelle belle prose pour une œuvre que Le Nouvel Observateur propose d’aborder avec dix mots clés, après lui avoir dit, simplement: «Merci, Monsieur Lévi-Strauss». «A l’esprit vient l’opposition du Lynx, maître du brouillard, et du Coyote», stylise Libération, qui lui consacre pas moins de 12 pages! SciencesHumaines.com, enfin, lui rend hommage en publiant l’intégralité d’un dossier conçu à l’occasion de ses 100 ans, qui contient, outre les clés pour mieux appréhender son rôle et mieux comprendre son œuvre, des textes rares et inédits.