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L'humour de Tchekhov fait mouche sous l'arbre de la place Arlaud

Malgré l'ambiance «petite laine», la foule était au rendez-vous pour le premier week-end du festival. Pour l'occasion, Valentin Rossier et son Helvetic Shakespeare Company délaissent William pour Anton

Ciel gris, petit vent frisquet, arrière-goût de pluie? Qu'à cela ne tienne, les festivaliers auraient eu besoin de beaucoup plus pour bouder le premier week-end du 30e Festival de la Cité à Lausanne. La foule était donc là dès vendredi sur les treize lieux de spectacles répartis dans la vieille ville. Côté danse, Laurie Booth, Colin Poole, et Yolande Snaith, les trois chorégraphes anglais dont la présence faisait l'événement de cette ouverture de festival, ont fait salles comble malgré les horaires parfois tardifs. Même engouement pour la programmation théâtrale. On reconnaît d'ailleurs sans mal les habitués de ce marathon culturel de dix jours: ils prennent place sur les gradins, patients, stoïques dans la fraîcheur du soir, trois-quarts d'heure voire une heure avant le début du spectacle. Car ils savent, eux, que si les places sont gratuites, elles n'en sont pas moins chères…

Morceaux d'anthologie

Sous l'arbre de la place Arlaud, une petite scène de bois et un grand rideau de velours rouge. C'est là que Valentin Rossier et son Helvetic Shakespeare Company font entendre les bijoux d'humour et d'écriture dramatique que sont les trois pièces en un acte d'Anton Tchekhov, La Demande en mariage, L'Ours et Le Chant du cygne. Anton Tchekhov a adapté pour la scène plusieurs nouvelles à la demande expresse de comédiens. Ces farces datent toutes des années 1880, soit avant les grandes pièces, La Mouette, La Cerisaie, etc. Ces morceaux d'anthologie, véritables machines à jouer, sont servis ici par Michel Cassagne, Doris Ittig, François Berté, Caroline Cons et Valentin Rossier lui-même. De quoi placer la soirée sous les meilleurs auspices. Si le plaisir est au rendez-vous – difficile de ne pas le trouver avec de tels ingrédients – on peut toutefois regretter que l'équipe n'ait pas opté pour une partition plus risquée et des enjeux plus forts.

Ainsi dans cette Demande en mariage qui entame la soirée. Comme l'indique le titre, on y voit Vassilievitch – petit propriétaire terrien, la quarantaine et beaucoup de palpitations – demander la main de Natalia, fille de Tchouboukov, lui aussi petit propriétaire terrien. A chaque fois que Natalia et son prétendant se retrouvent seuls et que le moment serait donc enfin venu d'aborder l'essentiel, la demande en mariage, ils en viennent aux injures au sujet de la propriété d'un pré aux bœufs ou des qualités respectives de leurs chiens de chasse. La mise en scène fait le choix de dédramatiser la situation: seul le prétendant (François Berté, vieux garçon tiqueur et hagard à souhait) est en transe. Natalia (Doris Ittig) l'accueille avec une pointe d'ennui et son père (Michel Cassagne) avec une bonhomie routinière.

Pouvoir comique

Ce parti pris permet un joli retournement de situation, très dans le ton de la farce, quand Natalia découvre après coup que le but de la visite de Vassilievitch n'était pas le pré aux bœufs mais bien sa main à elle. Et Doris Ittig de se jeter à terre dans une crise nerveuse de petite fille gâtée très drôle. Le parti pris fonctionne donc. Mais il réduit les enjeux. Le pouvoir comique de la pièce et la dimension des personnages montent d'un cran si Natalia et le père attendent dans la fièvre la demande de Vassilievitch…

L'Ours, avec Caroline Cons dans le rôle de la veuve éplorée et Valentin Rossier dans celui du rustre, convainc particulièrement dans la deuxième partie. Valentin Rossier réussit bien le basculement à 180 degrés de son personnage qui passe en quelques minutes du misogyne lourd à l'amoureux passionné. Caroline Cons est une femme en colère impeccable.

Déception en revanche à la hauteur de l'attente pour Le Chant du cygne. Michel Cassagne campe Svetlovidov, comédien en fin de carrière qui, sous l'effet de l'alcool, s'est endormi dans sa loge après la représentation. Dans un théâtre vide et noir où seul le vieux souffleur veille, il joue ses grands rôles. Par souci peut-être de ne pas donner dans le mièvre ou le convenu, Michel Cassagne ne prend pas le temps d'installer ni son personnage, ni la situation. Le Chant du cygne perd alors son émotion.

Trois farces d'Anton Tchekhov, mise en scène Valentin Rossier. Festival de la Cité, place Arlaud, Lausanne, tous les jours à 22 h jusqu'au 15 juillet. Entrée libre. Orangerie, Théâtre d'été, Genève, du 7 au 19 août. Loc. 022/788 55 15.