L’impressionnisme, né d’un soleil levant

Cette semaine, des œuvres solaires enfièvrent les journalistes du «Temps»

En changeant le nom d’un de ses tableaux, Monet a involontairement baptisé la grande révolution picturale du XIXe siècle

C’est un jour d’hiver. Le 13 novembre pour être précis. Claude Monet se trouve au Havre, la ville où il a grandi. Il se rend sur le port. Cherche un angle. Et peint la rade qui s’éveille dans le petit matin blême. Le paysage est brouillé. On devine au premier plan une barque, l’eau qui clapote et plus loin la forêt des grues et des mâts des voiliers qui se découpent dans le fond du tableau. Il y a quand même un détail sur lequel l’œil du spectateur achoppe: un point rouge-orangé qui dévie légèrement de la ligne médiane de la toile. Le soleil de Monet perce la brume. Plus tard, il éblouira l’art de son temps.

Le 13 novembre 1872, Claude Monet peint donc cette vue en ayant sans doute en tête les peintures de William Turner qu’il a contemplées à Londres une année auparavant. Le rendu atmosphérique de l’Anglais, on le sait, l’a profondément marqué. Son style s’en est d’ailleurs affirmé. Comparé à ses travaux précédents, la forme s’est radicalement simplifiée au profit de la couleur et des vibrations du pinceau. Deux ans plus tard, la marine est exposée à Paris à la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs dans l’atelier de Gaspard-Félix Tournachon, le futur Nadar. La nouvelle manière avec ses petites touches diffractées et ses teintes qui répondent aux lois du contraste simultané n’ont pas la reconnaissance de l’Etat et à peine celle du public. Le Salon de l’Académie des beaux-arts lui est presque systématiquement fermé. En 1863 déjà, Edouard Manet, recalé régulier, lançait l’idée d’un Salon des refusés. Une seule édition sera organisée avec tout ce que Paris compte d’artistes de la modernité. Les accrochages officiels sont encore l’apanage des grandes fresques antiques, des histoires mythologiques et des machines historiques. Ernest Meissonier, William Bouguereau et Jean-Léon Gérôme recueillent les lauriers de cet art froid et académique. La critique leur a donné un nom. Ces peintres qui abusent des casques militaires dans leurs tableaux resteront à la postérité sous le nom de «Pompiers».

Son tableau avec son astre rouge, Claude Monet l’a intitulé Vue du Havre. Mais Pierre Renoir, le frère d’Auguste qui peindra plus tard Le Moulin de la Galette, au moment de rédiger le catalogue de l’exposition demande à l’artiste d’en trouver un autre. Monet l’intitule finalement Impression, soleil levant. Une illumination solaire qui va changer le cours de l’histoire de l’art, moins par le sujet de la toile que par la fortune de son titre. Louis Leroy rédige des billets dans la revue Charivari. Le journal est satirique et prône les idées de l’extrême droite. Nadar et Daumier y collaborent. Tout comme Amédée de Noé, dit Cham, caricaturiste féroce pour qui Manet et ses disciples s’adonnent surtout à la barbouille. Louis Leroy visite donc l’exposition de la Société anonyme des artistes avec la ferme intention d’en découdre. Il va tailler Monet en pièces. «Impression! Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans. […] Un papier peint est plus travaillé que cette marine», écrit le critique le 10 mai 1874 dans un article goguenard titré «L’Exposition des Impressionnistes». Sans le savoir, il atteste pour l’histoire de la première exposition de ce nouveau mouvement sans nom qui dérive du pleinairisme. Impressionniste: le terme sonne bien, il restera. Et le tableau? Ernest Hoschédé l’achète 800 francs. Mais le négoce de tissu de cet ami de Claude Monet et d’Edouard Manet fait faillite deux ans plus tard. Collectionneur et proche des impressionnistes qu’il soigne gracieusement, le médecin Georges de Bellio l’acquiert 210 francs. Impression, soleil levant restera en mains familiales jusqu’en 1938, date à laquelle il rejoint le Musée Marmottan où il est toujours exposé.

«Impression! Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans…»