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Livres. New York juif, années trente

C'est une belle découverte que ce premier volume d'une trilogie vieille de septante ans, un roman toujours jeune, drôle et fraternel.

Daniel Fuchs

Eté à Williamsburg

Trad. de Bernard Hœpffner et Catherine Goffaux

Préfaces de Bertrand Tavernier et de l'auteur Joëlle Losfeld, 370 p.

C'est à l'enthousiasme de Bertrand Tavernier, loué soit-il, qu'on doit la découverte en français d'Un Eté à Williamsburg (Summer in Williamsburg), premier volume d'une trilogie parue dans les années 30. Son auteur, Daniel Fuchs, mort en 1993, était, semble-t-il, surtout connu comme scénariste. La découverte de son talent de romancier est une magnifique surprise, tant la façon de faire vivre ce misérable quartier juif de New York est émouvante, drôle et vivante.

Le livre s'ouvre sur une scène d'orage, une façon de planter le décor de ce pâté de maisons où vont converger les destins tordus qui s'agitent dans la chaleur d'un été perturbé. La violence fait immédiatement irruption avec le suicide du «boucher des grosses ménagères». «Quand tu rencontreras Dieu, Meyer Sussman, demande-lui pour moi ce qui t'a incité à appliquer la vessie d'un ballon de basket contre ton visage», demande le narrateur. Dieu aurait bien à faire pour justifier les misères de Williamsburg, mais il se tient prudemment à l'écart, laissant aux vieux rabbins le soin de commenter sans fin les Ecritures.

Et à Philip, alter ego de l'auteur, personnage central, celui de se débrouiller avec les contradictions de l'existence au seuil de laquelle il hésite. S'il connaît les pouvoirs de l'argent, il ne peut se résoudre à suivre son frère, homme de main de l'oncle Papravel, engagé dans une meurtrière guerre des gangs pour le monopole des transports en car. Le poids moral d'un père maladivement honnête pèse trop lourd. Aussi Philip se contente-t-il de porter un regard tendre, amusé, inquiet aussi, sur le monde qui l'entoure, les scènes de ménage, les rivalités des bandes de gamins, Irlandais contre juifs ou Italiens, les efforts burlesques de son copain Cohen pour se créer un personnage, le fossé des classes sociales qui empêche l'amour et l'amitié. L'auteur excelle dans les tableaux de genre, portraits de vieillards rapaces ou cinglés, de gamins amoureux, de jeunes femmes déçues. Mais à chaque fois, il dépasse l'anecdote, trouve la bonne distance entre l'humour et la compassion.

Peut-être grâce à son métier de scénariste, Daniel Fuchs a le sens des dialogues qui sonnent juste et du rythme dans le découpage. Le cinéma est d'ailleurs le grand exutoire des ménagères, des amoureux, des gamins de Williamsburg qui y passent leurs après-midi. On rit beaucoup, malgré le caractère sordide et souvent dramatique des événements de cet été. Parfois, une touche de poésie, une étrangeté dans l'angle de vue de ce tableau réaliste surprennent et procurent cette jubilation tellement rare pour laquelle on lit toujours et encore des romans. Vivement la suite!