Cuba, un secret de famille bien gardé

Laurent Bénégui remonte le fil d’une saga marquée par l’empreinte du silence. Une plongée émouvante dans la «petite» et la «grande» histoire

Cuba, c’est une histoire de famille chez les Bénégui. Alors que son grand-père y a émigré, que son père y est né, le romancier Laurent Bénégui ne s’est guère intéressé à cette saga jusqu’à ce qu’une suite de coïncidences le mette au défi: «Depuis trente ans, je racontais des histoires, et je ne m’étais jamais penché sur la mienne.»

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Pas si simple d’aller mettre le bâton dans la fourmilière: les tribulations familiales se sont mal terminées, et «jusqu’à sa mort, mon père n’adressa plus jamais la parole à son frère». Pour écrire ce roman, il fallait donc mettre fin à «quatre décennies de silence». L’occasion pour Laurent Bénégui de retracer l’immigration française du début du XXe siècle, du Béarn aux caféiers de Guantanamo. Et surtout de comprendre pourquoi il n’avait jamais posé de questions: «Quelles avaient été mes barrières, mes inhibitions, ma pudeur?»

L’enquête, haletante, va commencer. Il faudra remonter le fil des générations, démêler l’écheveau des relations dans la fratrie. Avec au bout de l’histoire, la force d’un roman qui mêle avec émotion l’histoire de l’île des Caraïbes et celle d’une famille qui a, finalement, réussi à renouer le dialogue (ou presque: manque le cousin Jean-Claude «à qui j’espère toujours pouvoir reparler»).

Christine Matthey


Récit
Laurent Bénégui
Retour à Cuba
Julliard, 308 p.


Un quartier bien peuplé

A côté de ses grandes œuvres épiques, Gonçalo M. Tavares a créé un «Quartier» imaginaire peuplé de «Messieurs» qui lui semblaient pouvoir vivre en bon voisinage. Chacun d’eux porte le nom d’un écrivain du XXe siècle cher à l’auteur. Dans «ce village Astérix de la pensée», comme l’écrit en préface Mathias Enard, les Messieurs se promènent, discutent, dissertent, existent, réfléchissent… Ils ressemblent à ceux dont ils portent l’identité sans se confondre tout à fait. Ils ont nom Monsieur Kraus, Monsieur Brecht, Monsieur Valéry, Monsieur Calvino… Monsieur Walser vit à l’écart, près de la forêt. Pour le moment, ils sont dix. Chacun fait l’objet d’une petite monographie, toutes rassemblées ici en un gros volume qui compte quatre nouveaux habitants. Mais il reste de la place dans cet espace ludique et utopique fascinant, illustré par Rachel Caiano.

Isabelle Rüf


Fiction
Gonçalo M. Tavares
Le Quartier
Trad. du portugais par Dominique Nédellec
Viviane Hamy, 800 p.


Lettres persanes d’aujourd’hui

Une anthologie de nouvelles d’écrivains iraniens vivant en Iran ou de la diaspora déploie la thématique de l’amour sous toutes ses formes

Comme le raconte l’écrivaine Nasim Vahabi dans son introduction, l’idée de rassembler des nouvelles d’écrivains iraniens contemporains, vivant en Iran ou en dehors, est née d’une discussion qu’elle a eue avec un journaliste et un libraire, dans un café à Téhéran, en 2018. Avec, en fond sonore, les poèmes mystiques de Rumi, mis en voix par une chanteuse de blues. Comment faire face à la censure? Comment écrire en exil? Peut-on se sentir exilé dans son propre pays? Et la littérature n’est-elle pas, au bout du compte, ce lieu où l’imaginaire peut se déployer sans contraintes, le seul pays de liberté?

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Suède et Etats-Unis

C’est la publication, en 1921, à Téhéran, du recueil Il était une fois, de Mohammad-Ali Djamalzadeh (1892 Ispahan-1997 Genève), qui signe l’envol de la nouvelle moderne en Iran. C’est donc aussi pour célébrer le centenaire du genre que paraît Amours persanes. Anthologie de nouvelles iraniennes contemporaines. Le recueil, préfacé par le regretté Jean-Claude Carrière, rassemble 17 auteurs et autrices iraniens vivant en Iran ou d’origine iranienne et vivant à l’étranger, de la Suède aux Etats-Unis, plumes aguerries ou nouvelles, ayant subi ou pas la censure. Le voyage vaut d’être vécu par la qualité littéraire ainsi rassemblée, et par la thématique de l’amour, appréhendé sous toutes ses formes.

Lisbeth Koutchoumoff Arman


Amours persanes, Anthologie de nouvelles iraniennes contemporaines
Trad. du persan par Julie Duvigneau et Massoumeh Lahidji
Gallimard, 308 pages