Mon ami Plic-en-Peluche
Objets impérissables
Adaptation francisée de «Winnie l’Ourson» achetée un peu par hasard dans une papeterie de Villars, «Le Meilleur des Ours» a embrasé l’imaginaire d’un garçon de 6 ans

Ils sont inusables, increvables, inoxydables. Et surtout, nous ne pouvons nous en séparer. Une petite chronique sur ces objets qui nous définissent.
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Pour m’occuper pendant les vacances d’hiver, j’avais un Oui-Oui. Le premier soir, le livre censé durer dix jours était fini. Il a fallu trouver de quoi nourrir le fauve. Je revois ma mère choisissant soigneusement un volume sur le tourniquet d’une papeterie de Villars. Mon troisième «livre de grand», c’est-à-dire avec plus de texte que d’images, s’intitulait Le Meilleur des Ours. «Par A. A. Milne», précisait la couverture sur laquelle un plantigrade dort paisiblement après ingestion massive de miel. Répondant au nom de Plic-en-Peluche, cet ours débonnaire a pour amis Bourriquet, un âne à queue amovible, Porcinet, un cochon malingre, Coco Lapin, Grand Gourou, P’tit Gourou… En leur compagnie, il pille des ruches, revient bredouille de la chasse au Bouribou, redoute les terribles Néléphants. Noëlle Lavaivre rehausse ces saynètes fleurant la britannité de vignettes plus proches du dessin de presse que de la mièvrerie dévolue aux enfants sages.
A la fin des chapitres, un garçon prénommé Jean-Christophe traîne l’ours par une patte en haut des escaliers. Par ailleurs, le seul représentant de l’espèce humaine a un interlocuteur s’exprimant à la première personne. Qui est ce protagoniste omniscient? Comment arrive-t-il à écrire tout en agissant? A quoi correspondent ces intrigants niveaux de réalité? Le merveilleux petit volume de la Bibliothèque rose m’a révélé la puissance de la littérature. Plus tard, j’ai compris qu’il s’agissait d’une adaptation francisée de Winnie l’Ourson, qui n’était pas encore devenu une superstar Disney. Ce livre acheté 3,30 francs en janvier 1964 a ouvert des portes que j’ai pris soin de ne jamais refermer. Le papier a jauni, le scotch qui le rafistole s’est fossilisé, mon grand projet de colorier les dessins s’arrête à la page 15. Mais Plic-en-Peluche est en moi à jamais et les pages que je hume ce soir conservent la fragrance des jeunes années 1960.