Ce n’est pas une biographie, c’est beaucoup plus qu’une biographie et beaucoup moins: c’est à la fois une lettre d’amour et l’évocation, par une fille, de la haute, mystérieuse et fugitive figure de son père. Dans Debout sur le ciel, Paule du Bouchet fait revivre celui qui fut, avec Yves Bonnefoy et Jacques Dupin, un des poètes majeurs de la France de l’après-guerre et surtout l’inoubliable présence de cet homme à la tendresse paternelle sans limites. Dans ce livre, André du Bouchet, mort en 2001, est comme une ombre, une ombre bienveillante qui serait venue s’attacher au corps de sa fille pour poursuivre avec elle un dialogue entamé dès sa naissance.

Recettes champêtres

Avec autant de pudeur que de discrétion, mais avec un véritable don de narratrice, elle retrace ainsi par exemple les mois de vacances passés en sa compagnie chaque été où ce père emmène sa fille et son fils à la découverte des ingrédients d’une cuisine naturelle – les herbes ou les champignons qu’ils cueillent, les fruits, le pain qu’ils mettent au four, les recettes qu’ils inventent, «bouillons champêtres improvisés par mon père et intitulés pour l’occasion «soupe des bois», «bouillon de talus», «brouet de verduronnet» ou «consommé d’ail des ours» – aussi bien que sa manière de leur lire ou plutôt de leur faire découvrir le langage à travers les livres qu’il leur lit, ou les poèmes qu’il leur récite, leurs randonnées, à pied et surtout à vélo, menées en file indienne jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent brusquement qu’ils ne sont plus que deux car lui s’est arrêté pour noter quelque chose qu’il a vu dans un des carnets et que, une fois rentré, il fera réapparaître sur l’une ou l’autre des pages qu’il punaise alors sur les murs pour ensuite l’arracher ou la récrire avant qu’elle ne disparaisse ou au contraire ne se retrouve, fût-ce des années plus tard, dans un de ses recueils.

Toujours «sur le pas»

Du Vexin à Belle-Ile, du Périgord à la rue des Grands-Augustins à Paris, Paule du Bouchet évoque cet homme qu’avec justesse elle définit comme étant toujours «sur le pas» mais qui eut le don de faire pour son frère et pour elle de chaque lieu parcouru un lieu magique sur lesquel ils peuvent encore prendre pied aujourd’hui.

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Hölderlin écrit que c’est «poétiquement que l’homme habite la terre». La phrase s’applique merveilleusement à André du Bouchet, dont l’existence avait en somme fait le sacrifice de tout ce qui n’était pas la poésie. Il fallait beaucoup de talent pour le faire sentir. Paule du Bouchet a eu à la fois ce talent et la générosité de le partager.


Paule du Bouchet, «Debout sur le ciel», Gallimard, 116 p.