Cela commence par des amours ébauchées, au goût d’inachevé, entre Noël et Marie. Mais Marie flirte aussi avec Félix, le frère de Noël. Nous sommes dans la province française, à Strasbourg, à Belfort, et à Ostwald, commune alsacienne qui donne son nom au récit. Le paysage social est marqué, dès le début, par la fermeture d’une usine Alstom. Le roman hésite entre flirts adolescents et portrait sociologique de la province, avant de basculer dans l’apocalyptique. Suite à un tremblement de terre, la centrale nucléaire de Fessenheim s’enflamme et l’Alsace est évacuée, la Suisse limitrophe aussi. Félix et Noël sont parqués dans un camp, avant de prendre la fuite et de traverser une France abandonnée.

Symbole politique

Ostwald est le premier roman de Thomas Flahaut, 26 ans, né à Montbéliard, et diplômé de l’Institut littéraire suisse de Bienne. L’auteur vit à Lausanne, et coanime le collectif littéraire franco-suisse Hétérotrophes. La genèse de son roman remonte à une belle exposition montée en 2013 à la Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction à Yverdon, «Stalker — Expérimenter la Zone», autour d’un chef-d’œuvre de Tarkovski, le film Stalker, sorti en 1979. L’écrivain Eugène et son épouse, Alexandra Kaourova, en étaient les commissaires. Or, Eugène a été aussi le mentor de Thomas Flahaut à Bienne, et l’a aidé à faire aboutir Ostwald, aujourd’hui publié à L’Olivier, prestigieux éditeur parisien.

Le lecteur ne retrouvera pas dans ces pages la spiritualité, le mysticisme de Tarkovski, ni sa poésie et son humanisme, mais plutôt quelques réminiscences hollywoodiennes (une horde de singes, échappés d’un zoo, déferlent sur la campagne). La nuit dans le Parlement européen de Strasbourg, transformé en boîte de nuit sauvage paraît, elle, presque «branchée». Et l’incendie du même bâtiment devient un symbole politique appuyé de délitement.

Exercice de style jubilatoire

L’auteur est doué, talentueux, indéniablement. Son écriture brillante excelle à décrire les lumières, les matières, et saisit par ses atmosphères d’abandon et de fin du monde, racontant la traversée de l’Alsace dépeuplée. Ostwald est un premier roman réussi mais parfois légèrement démonstratif. Comme la mise en œuvre d’un programme, un exercice de style jubilatoire, auquel on ne peut, techniquement, rien reprocher. Un jeu froid et cruel, surtout dans son chapitre le plus sombre: une scène de viol y laisse une vague nausée, comme après un cauchemar, on sent là une envie de faire de l’effet qui agace, au lieu de glacer.

L’absence de sentiments, de psychologie, voulue par l’auteur, n’atteint pas toujours sa cible: faire ressentir le gouffre, la distance au monde. Il manque parfois la fragilité, le tremblé, la vie. Elle revient heureusement dans les dernières pages, lorsque le livre se resserre sur son fil principal (même s’il est discret): le rapport au père. C’est son thème le plus sensible, le plus émouvant, car il repose sur le moins d’effets possible: des phrases anodines, quelques silencieuses, un désengagement et une si bruyante absence. C’est cette image, si forte, que le lecteur emporte.


Thomas Flahaut, «Ostwald», L’Olivier, 170 p.