La stœchiophonie
C’est le cas de la stœchiophonie, une «langue simplifiée» que le Jurassien Henri Joseph François Parrat offrit à l’humanité en 1858: un Lego de 250 briques (on pourrait parler de morphèmes) censément capables de construire des verbes, des substantifs, des phrases. Le tout est vaguement indo-européen. Parrat donne sa version du Notre Père, qui commence ainsi: «Apni pâtor ta isti bi ibôsmoi.» On ne sait pas ce qu’en pense le Bon Dieu, mais passons.
«Les règles de ma petite grammaire sont générales, sans la moindre exception: un écolier pourrait apprendre tout cela dans moins de quinze jours», écrit encore Parrat dans son avant-propos; on n’a malheureusement pas souvenir que la stœchiophonie ait trouvé sa place dans les plans d’études. D’autres Suisses ont tenté de se lancer sur ce créneau, sans succès forcément notable – on peut mentionner l’ablemonde de Gustav Schwartz (1932), ou le projet de langue universelle développé par le couturier Wilhelm Julhe vers 1884.
Ces interlinguistes (c’est le nom qu’on leur donne) sont en général mus par de nobles idéaux. En 1905, Théophile Cart, grand apôtre de l’espéranto, ne donnait d’autre mission aux langues universelles que celle d’offrir «aux hommes des diverses nations la possibilité de se comprendre».
La tentation impérialiste
Mais s’il s’agit de rapprocher des langues plutôt que des locuteurs, le risque de l’absurde et la tentation de l’impérialisme ne sont jamais loin. On peut travestir l’histoire d’un idiome pour en faire le parent d’une langue au passé glorieux – au XVIe siècle, plusieurs érudits tentèrent de rapprocher à toute force le français du grec, ce qui fit beaucoup rire Rabelais. Le mouvement contraire (la différenciation) existe aussi: plus près de nous, c’est l’éclatement, prôné aujourd’hui par certains linguistes, des langues balkaniques (bosniaque, croate, monténégrin, serbe) qui est un des ferments des nationalismes ex-yougoslaves.
Ces visions étranges ou polémiques des cousinages linguistiques persistent au fil des siècles, avec des degrés de n’importe quoi quelques fois très élevés. Un exemple? En 1941, le père Prat, un ancien missionnaire à Brazzaville, se fendit d’une étude au propos époustouflant: D’où viennent les langues préfixales, dites langues bantoues? Elles viennent de la langue latine. On mettra ça sur le compte de l’abus de vin de messe en contexte tropical.
Pour aller plus loin: André Blavier, Les Fous littéraires; Umberto Eco, La Recherche de la langue parfaite.