Bienne, une ville d’écrivains
littérature
La ville de Robert Walser abrite l’Institut littéraire de Bienne et nombreux sont les auteurs qui y vivent

A l'occasion de la 25e édition des Journées photographiques de Bienne, plongée dans le bouillonnement artistique d'une ville au dynamisme exemplaire.
Lire aussi: La scène artistique biennoise en mode laboratoire
Depuis 2006, l’Institut littéraire de Bienne forme la fine fleur des jeunes talents littéraires, germanophones et francophones. L’institution, seule du genre en Suisse, consacre une longue histoire d’amour entre les écrivains et la ville horlogère. Robert Walser, bien sûr, y est né, y a vécu et écrit. Mort dans l’oubli en 1956, il est aujourd’hui pleinement reconnu comme un auteur majeur du XXe siècle.
Rencontres incontournables
Dans les années 1950-1960 et jusque dans les années 1980, Bienne est connue pour ses soirées de lecture où se pressent écrivains suisses, français et allemands. Daniel Rothenbüler, écrivain, traducteur et cofondateur de l’Institut de Bienne raconte: «Les petits propriétaires de marques horlogères formaient un public de choix pour les débats littéraires. Les rencontres avec les auteurs organisés par la Société littéraire de Bienne, qui existe toujours, étaient incontournables dans toute la sphère germanophone. Le critique Heinz Schafroth, attentif aux expérimentations littéraires, faisait de Bienne le pôle d’attraction pour les nouveaux talents, de Berlin à Zurich. Un auteur comme Jörg Steiner (1930-2013), admiré par Max Frisch, Gunther Grass ou Adolf Muschg, a aussi beaucoup compté dans l’aura de Bienne.»
Lire aussi: L’Institut littéraire de Bienne, maison de naissance de romanciers
La crise horlogère à la fin des années 1970 bouleverse le tissu social de la ville et met temporairement un frein à cette effervescence. L’Institut littéraire l’a réveillée, sous des formes nouvelles. Dans l’atmosphère chaleureuse du centre de formation, qui fait partie de la Haute Ecole des arts de Berne, Marie Caffari nous reçoit. Très vite, à entendre les élèves qui s’interpellent dans le grand escalier, on comprend que la magie du lieu tient à une particularité très forte: le bilinguisme.
Climat propice à la création
«Je dirais plutôt le multilinguisme, renchérit Marie Caffari. Les élèves sont souvent agiles dans d’autres langues encore que le français ou l’allemand. L’anglais bien souvent ou l’italien, l’espagnol. Les séminaires ont lieu en français et en allemand, les repas en commun aussi. Cette approche biculturelle, transculturelle, est évidemment très riche. Les élèves se lisent dans les deux langues et parfois se traduisent les uns les autres.»
Parmi les écrivains qui enseignent à l’Institut, plusieurs ont choisi de vivre à Bienne comme Arno Camenisch ou Noëlle Revaz. La romancière raconte: «J’étais tout juste arrivée à Bienne que j’ai pu trouver un atelier où venir écrire. Disposer d’un tel lieu est déterminant. Ailleurs, l’obtention d’un espace de création est compliquée. Bienne est aussi une ville à la portée de toutes les bourses, très dynamique par la forte présence d’étudiants et d’artistes. C’est une ville de l’entre-deux, entre plusieurs langues, plusieurs identités. Cela crée un climat propice à la création.»
Comprendre comment l’Autre perçoit le monde, que cet autre soit un voisin ou quelqu’un d’éloigné, est à mes yeux indispensable pour notre société de plus en plus polarisée
Ursi Anna Aeschbacher dirige la maison d’édition littéraire Die Brotsuppe dont le catalogue est à moitié germanophone et à moitié francophone: les œuvres de Michel Layaz, Daniel Popescu ou encore de Philippe Rahmy y ont été traduites. Biennoise, Ursi Anna Aeschbacher a vécu une trentaine d’années en Allemagne où elle a d’ailleurs fondé sa maison d’édition avant de la transplanter dans sa ville d’origine. «Comprendre comment l’Autre perçoit le monde, que cet autre soit un voisin ou quelqu’un d’éloigné, est à mes yeux indispensable pour notre société de plus en plus polarisée. La littérature permet d’aller le plus en profondeur dans le partage des perceptions.»
Une flamme inextinguible
Cet engagement chevillé au corps pour la diversité culturelle et la biblio-diversité, Ursi Anna Aeschbacher le poursuit au sein du salon du livre Edicion, une aventure lancée avec plusieurs autres éditeurs biennois. La prochaine édition aura lieu en décembre et réunira une quarantaine d’éditeurs indépendants, romands et alémaniques.
Catherine Kohler participe aussi à la tenue d’Edicion. En 2019, elle a ouvert la librairie bilingue Bostryche, avec un choix de romans et d’essais dans les deux langues ainsi qu’un beau rayon de littérature jeunesse.
Lire encore: Catherine Kohler, au nom des livres
Les deux années de pandémie n’ont pas éteint la flamme de la libraire qui porte haut aussi l’attachement au bilinguisme. «Il joue un grand rôle dans le génie de la ville de Bienne. Voir des clients qui discutent ensemble de la meilleure traduction d’un mot en français et en allemand est pour moi une source de joie sans cesse renouvelée.»