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La pensée n'est pas que grecque ou latine...

Le complexe de supériorité est un mal à plusieurs étages. Celui qui complique parfois jusqu’à la violence les rapports entre les hommes et les femmes est discuté avec une nouvelle vigueur depuis l’éclatement de l’affaire Weinstein à la fin de 2017. Et les effets de cette exigence d’un dialogue d’égale à égal se font déjà sentir. La voix de celles et ceux qui rappellent que les mammifères humains alignent beaucoup plus de points communs que de divergences avec les autres mammifères se fait aussi mieux entendre. Et quitter le surplomb qui écrase voire qui extermine ou seulement maltraite pour entrer en contact avec l’autre, ici animal, est une source de meilleure compréhension de soi-même, un moyen aussi d’observer d’autres façons d’être au monde, plus en phase avec l’écosystème, thème ô combien important comme on le sait.
Un autre terrain propice à l’affirmation du complexe de supériorité est celui de la culture et du savoir. Etonnant mais vrai (et triste), au cœur même des lieux de recherche et d’enseignement, des murs sont dressés, des œillères fixées. En toute bonne conscience bien souvent, dans la perpétuation d’une ignorance sûre d’elle-même. Le professeur de philosophie arabe Jean-Baptiste Brenet (qui vient de commencer un semestre d’enseignement à l’Université de Lausanne) nous invite à ouvrir notre horizon intellectuel.
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Seul sur une île
Le chercheur propose une adaptation de Vivant fils d’Eveillé, un roman philosophique écrit au XIIe siècle par le savant andalou Ibn Tufayl. Outre sa splendeur poétique et sa force narrative, le chef-d’œuvre utilise le thème de l’homme seul sur une île (qui deviendra Robinson sous la plume de Defoe) pour déployer toutes les questions débattues dans la fertile Andalousie musulmane.
Permettre une nouvelle approche de ce texte trop méconnu est aussi l’occasion pour Jean-Baptiste Brenet de rappeler que la philosophie n’est pas que grecque ou latine. Que «la pensée s’écrit aussi en arabe». Et en chinois et en langues indiennes, pour ne citer que celles-là. Aujourd’hui encore, l’enseignement de la philosophie fait trop souvent l’impasse sur le Moyen Age, les siècles d’or de l’islam. Comme un refus d’inviter l’autre à la table des débats.
Les gnous et les éléphants
La conviction d’être porteur d’une culture supérieure peut aveugler jusqu’à la déraison. C’est ce que l’on apprend dans une autre fable, tragique, et bien réelle cette fois. L’histoire date de la fin des années 1980 et 1990. Elle refait surface à l’occasion du succès phénoménal du premier roman de l’Américaine Delia Owens, traduit en français aujourd’hui, Là où chantent les écrevisses, un roman de formation où la nature occupe une large place.
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Longtemps biologiste, Delia Owens avait précédemment écrit deux récits, avec son mari Mark, sur leurs efforts menés au Botswana et en Zambie pour préserver les gnous et les éléphants. Face au succès hors norme de Là où chantent les écrevisses, des journalistes ont tenté d’évoquer avec elle son passé africain. Et découvert que son mari, dont elle a divorcé aujourd’hui, s’était investi de la mission d’éradiquer le braconnage au point de créer des milices armées entraînées à ouvrir le feu depuis des avions et des hélicoptères. Jusqu’au drame. Un remake d’Au cœur des ténèbres. Un conte dramatique où pour sauver les éléphants on est allé jusqu’à tuer des hommes.