Catherine Colomb, au fil de la mémoire
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AbonnéL’édition critique de tous les textes de la romancière vaudoise paraît chez Zoé. L’occasion d’une passionnante (re)découverte

Vous ne connaissez pas encore Catherine Colomb? Quelle chance! Vous aurez le privilège de la découvrir dans une toute nouvelle édition publiée par Zoé. Cadeau de Noël avant l’heure, ce Tout Catherine Colomb réunit en un seul volume – 1680 pages tout de même – l’ensemble des textes écrits par la grande romancière vaudoise entre 1911 et sa mort en 1965. Ils ont été établis, annotés et sont présentés par différents collaborateurs du Centre des littératures en Suisse romande (CLSR) de l’Université de Lausanne, sous la direction de Daniel Maggetti. Ce magnifique travail a notamment été rendu possible grâce au dépôt de ses archives au CLSR par la famille.
A noter, parallèlement, la publication, dans la collection Savoir Suisse, de Catherine Colomb. En plein et lointain avenir d’Anne-Lise Delacrétaz. Un petit ouvrage qui offre de multiples pistes pour aborder une personnalité et un univers littéraire pas toujours faciles d’accès.
Vie secrète
La vie de Catherine Colomb? Elle reste relativement secrète, malgré les témoignages de ceux qui l’ont côtoyée. «Si elle a tenu un journal intime, il ne nous est pas parvenu; elle n’a gardé qu’un petit lot d’agendas, la plupart délaissés après deux ou trois notations en début d’année et détournés de leur usage», relève Anne-Lise Delacrétaz. Née en 1892 au château de Saint-Prex, de parents issus de vieilles familles vaudoises protestantes dont l’aisance était liée à la terre, elle s’appelle en réalité Marie Colomb – Marion pour ses proches – et deviendra Marie Reymond par mariage.
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Orpheline de mère à 5 ans, elle est élevée par sa grand-mère maternelle à Begnins, puis à Lausanne. «J’étais un enfant sans parents», dira-t-elle. Après un séjour en Allemagne, cette brillante élève commence des études de lettres et passe l’été 1913 en Angleterre où elle s’occupe de la fille d’Ottoline Morrell, une aristocrate proche de Bertrand Russell et de T.S. Eliot avec laquelle elle entretiendra une abondante correspondance. La jeune femme se lance ensuite dans une thèse sur Béat Louis de Muralt, essai qui figure dans Tout Catherine Colomb de même que ses articles de jeunesse parus dans la presse.
Louée par Gustave Roud et Jean Paulhan
Son premier roman, Pile ou face, sort en 1934 aux Editions Attinger, sous le pseudonyme de Catherine Tissot. Onze ans plus tard, devenue Catherine Colomb, elle publie un roman totalement novateur dans sa structure comme dans son écriture, Châteaux en enfance qu’elle qualifie de «livre d’amour filial» et où certains verront une préfiguration du Nouveau Roman. La réception de cet ouvrage reste discrète. Catherine Colomb retient toutefois rapidement l’attention de ses pairs.
Gustave Roud la tient en haute estime. Jean Paulhan, directeur de la Nouvelle Revue française, voit en elle une «romancière de génie». Sur ses conseils, Gallimard publiera en 1962, dans la collection Blanche, Le Temps des anges qui recevra le Prix Rambert. Il s’agit du troisième livre de ce qu’on appelle la trilogie et qui, commencée avec Châteaux en enfance, se poursuit avec Les Esprits de la terre (1953).
«Catherine Colomb est incontestablement l’un des écrivains les plus importants de la littérature romande du XXe siècle, notamment par sa capacité à inventer, ou réinventer, de nouvelles formes romanesques tout en les remettant en jeu à chaque fois, se réjouit Daniel Maggetti. Elle est en outre à la fois très vaudoise et complètement internationale. Parler allemand, anglais puis employer le mot «ruclon» ne lui pose aucun problème. Elle réussit à utiliser des éléments fortement ancrés dans un contexte régional ou personnel sans jamais tomber dans le local et le pittoresque. C’est en cela que je la trouve particulièrement intéressante.»
Deux inédits
Outre quatre romans publiés de son vivant, Tout Catherine Colomb intègre deux romans inédits. L’existence du premier, Des Noix sur un bâton, a été révélée en 2005 par Claude Reymond, le fils aîné de l’écrivaine. Il date sans doute des années 1930 et se présente comme une parodie des romans sentimentaux de Delly, très populaires jusque dans les années 1950 et qui se destinaient essentiellement à un lectorat féminin. Ce court récit, situé entre le Nord vaudois et le lac de Neuchâtel, tourne autour d’une fausse femme à barbe et d’un imposteur inculte qui, découvrant sa fiancée en train de lire Les Faux-Monnayeurs d’André Gide, l’interroge sur son goût pour les romans policiers.
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Dans ce texte drôle et caustique, on retrouve non seulement le goût de Catherine Colomb pour les histoires de famille complexes, avec leurs succès, leurs échecs, leurs intrigues et leurs secrets, mais également son appropriation subtile et très personnelle de la reprise, du motif à travers l’utilisation récurrente d’une phrase ou d’une image qui ponctuent le récit comme un leitmotiv ou un refrain.
L’autre inédit, Les Malfilâtre, est plus difficile d’accès. Il s’agit du brouillon d’un roman en chantier auquel Catherine Colomb a travaillé entre mai 1961 et juillet 1964. Et le seul manuscrit qu’elle a conservé. Grâce à lui, comme l’écrit Anne-Lise Delacrétaz, «nous pouvons entrouvrir la porte de son atelier de papier et la surprendre à l’établi». De quoi mieux comprendre une démarche qui place le travail d’écriture au premier plan et sur lequel elle s’est peu expliquée, n’aimant guère «parler métier».
Pas de place au hasard
«Catherine Colomb a toujours dit qu’elle écrivait au fil de la plume, et je crois que c’est vrai, précise Daniel Maggetti. Procédant par associations d’idées, par glissements, elle allait jusqu’au bout d’un récit avant de le reprendre de fond en comble, dans une sorte de palimpseste permanent. Sans plan ni schéma préalable, elle aboutit ainsi à une marqueterie extrêmement bien construite, où rien n’est laissé au hasard. Mais on ne s’en aperçoit souvent qu’à la deuxième ou troisième lecture, et c’est totalement fascinant.»
Comme Proust, qu’elle admirait tant, Catherine Colomb a fait de la mémoire et du temps la colonne vertébrale de ses romans. Plus de cinquante ans après sa mort, son œuvre n’a rien perdu de sa force et de sa modernité. Un vrai bonheur de lecture gourmande.
Edition sous la direction de Daniel Maggetti
«Tout Catherine Colomb»
Editions Zoé, 1680 p.
Anne-Lise Delacrétaz
«Catherine Colomb. En plein et lointain avenir»
PPUR, coll. Savoir suisse, 168 p.
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Philippe Geinoz
Un Temps désancré. Trois essais sur la trilogie de Catherine Colomb
MétisPresses (février 2019), 150 p.