J’ai un ami qui reconnaît, en automne, les arbres à leur odeur – Je peux dire les yeux fermés si c’est un peuplier, dit-il, cela vient des feuilles. Des feuilles d’automne aux couleurs fabuleuses, aux parfums d’humus. Comme je lui demandais si ce livre, là, sur son bureau, lui plaisait, il me répondit, non mais il sent très bon…

Je tenais ma chronique. J’allais soumettre le quatuor des finalistes du Goncourt, les livres de Nathalie Azoulai, Mathias Enard, Tobie Nathan et Hédi Kaddour, au même test olfactif, puisque tous se trouvaient là, réunis, sur mon bureau. N’étaient-ils pas eux aussi des feuilles d’automne – et des meilleures! – selon les jurés du Goncourt.

Voici donc ces notes olfactives, mais aussi de couleurs et de toucher. Petite ode à la sensualité du papier et de l’objet fétiche de ce cahier.

Vieilli en fût de chêne

Légèrement vanillé, comme vieilli en fût de chêne, arrière-fond chocolaté, poussière au soleil, après-midi d’été, tel m’est apparu Ce pays qui te ressemble de Tobie Nathan. Finesse du grain, blanc crémeux des feuilles. Couverture lisse. Dans l’espace de la page, le texte respire. Fourré de noir et blanc en couverture, de rouge à l’arrière, il arbore, sous son enveloppe, le bel indigo foncé de chez Stock. Un beau cru

Léger fond d’agrumes, odeur vague, presque neutre, du sable peut-être, voici Boussole de Mathias Enard. L’encre s’insinue dans le livre comme une poussière fine dans le brouillard. Par moments, au creux des pages, passe un souffle de jasmin ou de tubéreuse. Un peu grumeleuse, sa fourre colorée, orange et bleu, renferme une reliure crème anglaise plus grumeleuse encore, celle des romans d’Actes sud. Impression grise de l’encre sur des pages citronnées teintées de caramel. Ainsi va le Prix Goncourt.

Un fauve est passé dans ces pages

Odeur ancienne, du safran peut-être? Quelque chose de sauvage flotte distraitement; de charnel aussi. Peau, cuir, un fauve est passé dans ces pages. Tout au fond du livre, un effluve parle de la neige en sourdine, chuchotement glacé. La couverture, faussement dite «blanche» (on est chez Gallimard) est en fait coquille d’œuf, mais celle d’un œuf d’autruche longtemps resté dans un cabinet de curiosités. De fines lignes noires et rouges la parcourent. Les feuilles sont d’un blanc légèrement citronné. Le texte noir et serré. Intrigants, attirants que ces Prépondérants de Hédi Kaddour.

Voile de santal troublant

Voici la seule vraie couverture blanche. Elle est striée verticalement, un aveugle la reconnaîtrait. La toucher est agréable, on y revient à cette enveloppe P.O.L. Bleu et gris s’y détachent, discrets. Feuilles d’un blanc grisé, plus froid que celui des autres livres, lumineux, néanmoins. Page aérée, encre douce, ronde. Au fond du livre, un voile de santal, un soupçon de pêche mûre et de melon d’eau. Au jeu de l’apparence, du toucher et du parfum, Titus n’aimait pas Bérénice de Nathalie Azoulai gagne la palme, tout en élégance et en subtilité.