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Les clichés à propos de Maigret (2): «Ça se passe toujours en province»

Parmi les visions courantes à propos du policier de Simenon revient l'idée qu'il se situe avant tout dans les petites cités aux notables tortueux. Pourtant, la saga Maigret est irréductiblement parisienne, dans un Paris façonné à son image

Place de l'opéra, 1960. — © Flickr
Place de l'opéra, 1960. — © Flickr

Georges Simenon est mort à Lausanne il y a 30 ans. En cette «année Simenon», proclamée aussi en raison de l’anniversaire de l’esquisse de Maigret en 1929, chaque semaine, notre chroniqueur rend hommage à l’impérissable commissaire en lisant les 75 romans.

Retrouvez toutes nos chroniques au long de la lecture des Maigret.

Durant mon marathon de lecture des Maigret, j’ai souvent entendu cette phrase: «au fond, ça parle surtout de la petite bourgeoisie de province». On place le commissaire dans les cités modestes, au milieu des notables assassins, des familles qui se déchirent, des artisans cupides. On fait du fumeur de pipe un brigadier des foins et des étables.

Remettons les pendules (de gares) à l’heure. 63 des 75 romans se passent à Paris, ou au moins la capitale y occupe une place importante; c’est le décompte de Michel Lemoine (Paris chez Simenon, Encrages). Bien sûr, certains des grands Maigret plongent dans les entrailles de la province, à commencer par La Nuit du Carrefour (en 1931). Il y a aussi ces intrigues au fil des fleuves, dans ces mondes brumeux des péniches et des écluses – cela venait tôt, avec Le Charretier de la «Providence», le deuxième Maigret.

Le précédent cliché:  «C'est misogyne»

Un enquêteur urbain

Mais de plus en plus, l’enquêteur devient, ou se confirme, urbain. La localisation à Paris est toujours plus habituelle au fil de la saga. Et même quand il va dans les régions, ses pérégrinations demeurent irréductiblement urbaines, tissées dans les ruelles de pénombre ou les chambres surexposées des grands hôtels.

Les experts ont qualifié Georges Simenon de «romancier de l’espace», l’évolution dans l’environnement étant fondamentale chez lui, comme le recours aux divers sens. Dans une étude disponible en ligne, «Les Itinéraires parisiens du commissaire Maigret», Dominique Meyer-Bolzinger analyse les trajets de l’enquêteur, sa manière d’habiter sa ville, car il est «ancré dans l’espace parisien». Même l’investigation policière, décrite par le créateur du personnage comme une manière de s’imprégner, relève d’une «prise de position spatiale».

Dès la matin, l'assaut de la ville

On le goûte au fil des romans. Dès le matin, Maigret se lance dans la ville, espérant ces bus à plateforme – où il peut fumer – qui arpentent la cité. Il connaît les quartiers, ils les a quadrillés dans ses jeunes années. A présent, commissaire censé rester sur sa chaise à donner des ordres et faire des rapports, il ne cherche qu’à retourner sur le terrain, conduire ses enquêtes au plus près de l’asphalte, ou de la moquette des hôtels particuliers.

En effet, la collecte des informations après le crime se fait entrée dans un espace, à la fois géographique – la maison du drame, souvent –, urbain (de quel quartier), et humain, au contact des proches.

Le Belge Simenon a façonné son Paris, pour son personnage. Les bistrots, les impasses, les petits meublés. Et les grandes artères, l’anonymat des trottoirs. Une ville entière prise en main, sculptée pour le commissaire. Et par lui.