La colombe et la sorcière racontées par Fabienne Bogádi
Livres
Ce pourrait être un récit mythologique ou un fait divers du XXIe siècle. Antique ou contemporain, le deuxième roman de l’écrivaine valaisanne établie à Genève Fabienne Bogádi, «Les Immortelles», est une histoire tragique et intemporelle

Une fille naît au milieu de chevaux, de taureaux et de cinq frères dans une ferme dominée par un père autoritaire. Tout n’est que violence dans ce monde rural et bestial pour cette jolie fille silencieuse. Son père l’abuse. Ses frères sont rudes, sauf l’un d’eux, qu’elle aime de tout son cœur mais qui meurt trop tôt. Seule échappatoire, le jardin de sa mère, qui l’initie aux secrets des herbes médicinales, potions magiques et poisons. Un héritage dont elle tirera une force insoupçonnée.
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Un jour, un étranger la séduit par ses lettres et son romantisme de surface, la déracine de sa campagne et l’emmène dans une grande ville avec la promesse d’une vie nouvelle. Elle devient l’esclave de son horrible mari. La violence qu’elle connaissait déjà dévoile une pente plus perverse encore, cruelle, inhumaine. Elle trouve un nouveau refuge au jardin botanique. En vain. Son mari lui confisque leurs jumeaux et l’abandonne. Dans une fureur incommensurable, elle exécute son ultime vengeance. Homicide ou infanticide?
«Tout est dans tout»
Ce personnage, c’est Dea, aussi belle qu’une déesse. Son père, seigneur du lieu, est un Minotaure. Ses cinq frères, Aris, Ermis, Icare, Ulysse et Orfeo, sont des centaures. Sa mère est magicienne. Son mari, c’est Jonas, haut gradé de la sécurité intérieure. Leurs jumeaux se prénomment Janus et Romeo.
Dea est née colombe, elle sera jugée sorcière. «Tout est dans tout, le bien contient le mal et le mal le bien», lui apprend très tôt sa mère. On pense à une tragédie grecque, à Médée en particulier. Comme la princesse de Colchide, Dea est attirée par un prince charmant qui n’en est pas un, Jonas (anagramme de Jason), elle est magicienne, elle quitte un monde pour un autre, sera abandonnée et se vengera. On pense à un conte cruel, avec des monstres, des ogres ou de méchants loups.
L’auteure du Corps déchiré (2014) joue avec les genres et les codes, non sans une belle dextérité, pour écrire un roman très sombre sur l’inceste, la perversion narcissique, la soumission et l’esclavagisme moderne. La place de la nature, de la botanique, des plantes, des fleurs et des herbes offre des bouffées d’oxygène et des rayons de lumière.
Roman
Fabienne Bogádi
«Les Immortelles»
L’Age d’Homme, 216 p.