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Dans une Ecosse mystique et magique, un écrivain-fantôme se trouve pris au piège de son récit. Avec «La confession» John Herdman signe une parodie savante d’Edgar Allan Poe et de Stevenson

Le besoin a réduit Leonard Balmain à une triste extrémité: il a accepté de faire le «nègre» – pardon, l’écrivain-fantôme –, bref d’écrire sur commande l’autobiographie d’un certain Torquil Tod. Le gentleman paie bien mais on est en Ecosse, terre de fantômes, et l’opération, en plus d’être humiliante, se révèle périlleuse. On l’apprend dès les premières pages, Balmain, une fois sa tâche achevée et livrée, croit sa vie en danger: il est devenu le dépositaire d’un terrible secret.
La confession est une parodie subtile de l’univers d’Edgar Allan Poe, de R.-L. Stevenson ou de James Hogg, transposé à la fin du XXe siècle. Le titre original du roman, paru en 1996, est à double sens. Ghostwriting: écrire à la place d’autrui, certes, et en plus des histoires de fantômes! C’est un «roman-valise» dans lequel plusieurs narrateurs commentent le récit principal et le mettent en question: on lit le récit que fait Balmain de la vie de Tod, telle que le commanditaire la lui aurait rapportée, mais aussi le cri de détresse de Balmain lui-même, puis son oraison funèbre par son exécuteur littéraire et sa mise en pièces symbolique par un critique littéraire postmoderne. Pour couronner le tout, une postface savante de Jean Berton, spécialiste de l’Ecosse, replace le roman de John Herdman dans son contexte littéraire, écossais et anglais.
Cul-de-sac existentiel
Qui se cache derrière le pseudonyme de Torquil Tod? Fils d’une bonne famille écossaise, orphelin de père, né pendant la Seconde Guerre mondiale, il est un pur produit des années 1960: «Sa «raison» lui permettait de ne croire en rien du tout; mais il y avait une autre part, une part irrationnelle, prête à avaler presque tout.» Il rompt avec sa mère, mène au Canada une vie de hippy: petits métiers, «laxisme sexuel», nombreuses aventures, liaison durable avec la fille d’une de ses amoureuses. Elle finit par le quitter, emmenant leurs enfants. Il se retrouve à Londres, à la quarantaine, sans vrai métier, sans attaches, dans un cul-de-sac existentiel.
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Leonard Balmain prend note de ce récit de formation assez convenu, en soumet les passages à son commanditaire, le contrat se remplit sans difficultés. Tod se livre peu, il ne fournit pas les documents complémentaires qu’il avait évoqués, on reste dans le cadre du contrat. On s’interroge seulement sur la nécessité d’une telle biographie, destinée à son seul héros. Pourquoi la confier à un étranger?
Récit cathartique
Arrivé à ce stade de sa vie, Torquil Tod commence à donner des signes d’agitation. Balmain sent qu’un secret tourmente son interlocuteur et que son récit lacunaire tourne autour d’un trou noir qu’il n’ose pas aborder. Ils décident d’un commun accord que l’écrivain traitera la matière comme s’il écrivait un roman, en comblant les lacunes de la «confession». Il s’agit désormais d’un récit cathartique qui doit soulager celui qui se confie du poids d’une faute inavouable.
C’est alors qu’entre en scène, dans le «roman» de Tod, Abigail Gray, une femme plus jeune que Torquil Tod. Elle le ramène à «l’Ecosse lointaine de sa jeunesse», une «zone interdite, fermée de sa psyché». Etrangement subjugué, il abandonne tout et la suit à Edimbourg. Ils entrent alors tous deux dans un trip millénariste. Ils vivent un temps dans une communauté New Age assez sordide.
Fin du monde imminente
Déjà dans sa jeunesse, Tod avait été terrifié par le sermon d’un pasteur presbytérien qui annonçait le «Grand Jour» de la fin du monde pour 1981. La date est proche, elle est corroborée par d’autres prophéties et l’état du monde, à la fin des années 1970, est effectivement inquiétant. Complètement dépendant d’Abigail, matériellement et psychologiquement, Torquil Tod l’accompagne au nord, à Ardsalach, où elle doit occuper un poste d’intendante dans une communauté chrétienne œcuménique très douteuse.
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On entre alors dans une Ecosse qui n’est pas celle des châteaux et de la chevalerie, mais une Ecosse des îles, des abbayes, un haut lieu de spiritualité qui s’est mâtiné, avec le temps, de pratiques de magie noire, autour du loch Ness. Tod va de plus en plus mal et, pour soigner ses crises de panique, Abigail le livre à un mage particulièrement répugnant. Puis le couple quitte la communauté toxique et continue son exil vers le nord et l’isolement. C’est là qu’a lieu l’événement inavouable qu’on ne va pas révéler mais qui renvoie à toute une mythologie diabolique.
Affabulation d’auteur?
Le couple finit par se séparer et Tod passe par toutes sortes d’états pathologiques et de thérapies. Il tente même de pousser le «cri primal», très à la mode dans ces années-là. Maintenant, vieil homme fortuné, il s’est livré, pour se libérer, à un homme qui n’est pas lié par le secret de la confession. Ce dernier doit disparaître. Porter plainte? Contre qui? Tod est désormais introuvable.
Et si toute cette histoire n’était qu’une invention de Balmain, auteur médiocre, pour se donner un destin posthume après son suicide, avance un collègue malveillant, disciple de Roland Barthes. La vérité se dérobe jusqu’au bout. La langue, élégante, très British, mise au service de ces horreurs gaéliques, leur ajoute le charme de l’ironie.
La confession
Roman
John Herdman
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Maïca Sanconie
Quidam, 184 p.