Genre: roman
Qui ? Nathalie Kuperman
Titre: Les Raisons de mon crime
Chez qui ? Gallimard, 234 p.

Ecrire sur son double mais un double qui fait peur, qui est tombé, qui est presque mort, qui incarne tout ce que l’on refuse, tout ce que l’on ne veut pas voir. Et qui surtout vient de la même famille. Les Raisons de mon crime explore, sans fard, le terrain escarpé et mystérieux des liens de sang et cette sidération qui peut saisir devant l’éloignement d’un être pourtant issu de la même souche.

Après Nous étions des êtres vivants (Gallimard, 2010), qui se situait dans une entreprise en pleine restructuration, Nathalie Kuperman explore encore ici le déclassement social et la peur de sombrer. Le précédent roman était inspiré de l’expérience personnelle de la romancière qui s’était retrouvée au chômage après la vente du groupe de presse où elle était rédactrice.

Les Raisons de mon crime campe deux cousines. L’une, la narratrice, est graphiste, élève seule sa fille, s’achète des produits bio et quelques chaussures chères de temps en temps, du moins tant qu’elle avait encore un travail. L’autre, Martine, boit, principalement, et regarde la télévision, dans un minuscule studio, en banlieue, avec son compagnon. Elles se sont perdues de vue depuis l’enfance. Elles se sont retrouvées à l’enterrement de la mère de Martine puis reperdues de vue. Jusqu’au jour où Martine appelle un soir sa cousine après qu’elle l’a vue à la télévision, interrogée pour un micro-trottoir sur les retraites. Parler à Martine, c’est faire face à l’alcool qui défigure, qui avilit, qui fait dire des horreurs et des trésors d’invention en même temps. Dans un sursaut, les deux cousines font un pacte: l’une, Martine, va raconter sa vie en disant toute la vérité et l’autre va en faire un livre.

Et c’est comme un voyage de l’autre côté du miroir qui commence. Un voyage dans un monde parallèle, celui des hors-cadre, des hors-tout, des sans-rien. Ce qui frappe d’emblée, c’est la langue de Martine et la façon dont la romancière l’entoure, la ceint, la mêle au reste du texte.

Nathalie Kuperman a dû entendre une telle femme pour restituer ainsi son rythme de parole, ses images, ses décalages, ses silences, ses folies, se dit-on, presque malgré soi. Interrogée par Le Monde, la romancière explique qu’en effet cette cousine existe bel et bien. Et qu’elle a accepté le fameux pacte: tout dire en vue d’un livre tout en acceptant la part de fiction qui y serait ajoutée, mixée, malaxée.

Un autre parcours débute alors, dont on ressort pantelant. Martine raconte sa lignée. Grand-mère, mère, fille, toutes ont eu l’alcool comme compagnon de vie et de déchéance. Ce que raconte Martine atteint parfois des sommets paroxystiques de destruction intime.

Entre Martine et sa cousine, une relation de pouvoir et de dépendance s’installe avec, là encore, l’alcool pour lier, faire tomber les barrières, comprendre, s’aimer. Martine, et c’est la très belle preuve d’amour du roman, demeure droite sous la plume de celle qui la restitue. Adolescente, Martine était belle à pleurer.